CGT : Les trois profils des opposants




Autoproclamé météorologue des luttes sociales, Bernard Thibault nous promettait au printemps dernier un automne chaud. À défaut de rentrée sociale digne de ce nom, où en sommes-nous réellement du réchauffement des températures sur la planète CGT ?

Pendant longtemps, l’image de la CGT a été celle d’un organisme monolithique appliquant avec une certaine invariance une ligne politique fixée ailleurs qu’en son sein. Y a-t-il encore aujourd’hui une ligne confédérale que symptomatiseraient les glissements réformistes de ces dernières années ? Il semble plutôt que le bureau confédéral a comme souci majeur la survie de l’appareil, débouchant sur un positionnement politique fluctuant et une peur phobique de l’isolement.

Ont-ils vraiment tué le père ?

Pour comprendre cette situation, revenons sur les hommes et les femmes qui animent les organes de direction des structures territoriales, professionnelles et confédérales de la CGT. Ils et elles partagent dans leur grande majorité une même formation, articulée autour du rapport au PCF, et un même traumatisme, celui du début des années 1990, qui les a convaincus que la survie passait par un éloignement calculé par rapport à la matrice communiste. On retrouve ainsi aux postes de direction un grand nombre d’anciens communistes, méfiants voire œdipiens à l’égard de leur milieu originel. Dans le même temps, il leur est difficile de se départir rapidement de réflexes qui ont conditionné leurs pratiques syndicales. Il en est ainsi de la légendaire courroie de transmission : dans une version plus souple que par le passé, la direction cherche toujours à mimer l’organisation politique la plus influente de la gauche : hier le PCF, aujourd’hui le PS, demain le NPA ?

Conjuguées à un réformisme encore mal assumé, nombre d’orientations peuvent être analysées comme visant à assurer la survie de l’appareil et le leadership de sa direction : l’adhésion à la CES et à la CSI, le primat de la négociation et de la politique contractuelle sur les autres formes d’action, le partenariat fluctuant avec la CFDT, la position commune sur la représentativité. À l’autre extrême, la présence dans des luttes jugées médiatiquement porteuses ou politiquement gagnables (le CPE hier, Edvige aujourd’hui) ou le soutien aux luttes des travailleurs sans papiers, peuvent également s’entendre comme une volonté de renforcer numériquement l’organisation. On bétonne au sommet et on élargit la base pour fournir l’armée de militantes et de militants.

Géographie politique de la CGT

Devant cette ligne à géométrie variable se dressent trois grandes catégories d’opposition internes : les oppositions « intégrées », les oppositions de fractions et les oppositions de base.

Les oppositions « intégrées », au teint légèrement moins réformiste que l’actuelle tendance majoritaire au bureau confédéral, constituent un attelage composite de militants en situation de responsabilité, soucieux comme la majorité de préserver leurs positions et l’appareil. Ces opposants « raisonnables », très présents au CCN, parmi ces cadres intermédiaires qui ont emporté le vote Non au TCE en 2005, refusent cependant tout dérapage vers ce qu’ils identifient comme de l’aventurisme gauchiste. Les oppositions « intégrées » vont ainsi de Maryse Dumas, numéro 2 de la CGT, à la très stalinienne fédération de l’Agroalimentaire en passant par Didier Le Reste, le patron buffettiste de la fédération des Cheminots ou les unions départementales « mouvementistes » de Paris ou des Bouches du Rhône.

La deuxième catégorie d’oppositions englobe les fractionnels coordonnés en plate-formes : Continuer la CGT, constituée en 1995 autour de communistes orthodoxes, Où va la CGT ? dont le blog est animé par des militants maoïstes de Voie prolétarienne, le Courant intersyndical lutte de classe et antibureaucratique aux mains des trotskistes du CRI, le Courant syndicaliste révolutionnaire, relativement figé sur la revendication de l’héritage de la CGT d’avant 1914.

La troisième catégorie d’opposants internes, plus vaporeuse mais plus massive, s’articule autour des initiatives de militants de base, de syndicats d’entreprises, voire d’unions locales, excédés par les renoncements et les atermoiements des directions. Parmi les dernières en date, l’appel « trans-syndical » de militants d’Ille-et-Vilaine (voir ci-dessous), les prises de position de syndicats, voire d’unions locales, interroge les orientations fixées par la confédération. Beaucoup de militants orphelins d’organisations politiques se retrouvent derrière ces mobilisations, de loin les plus intéressantes pour les communistes libertaires actifs dans la CGT. A la condition de se coordonner et de gagner en visibilité et en résonance, ces initiatives peuvent éviter à la planète CGT de se prendre dans les glaces du réformisme d’accompagnement social.

Isidora Navarro (AL Paris Nord-Est)

 
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