Chroniques du travail aliéné : Andrée*, directrice d’un Etablissement de service et d’aide par le travail




La chronique mensuelle de Marie-Louise Michel (psychologue du travail).

*Seul le prénom est modifié, le reste est authentique.


<titre|titre="Je sentais leur détermination à jeter la bête malade">

J’ai toujours été très impliquée affectivement dans mon travail. J’y ai mis toute mon énergie, je me sentais investie d’une mission symbolique, relever les établissements, tout remettre d’équerre après la crise que nous avions vécue. J’ai commencé à m’épuiser et puis j’ai eu des soucis familiaux. Mais au début de l’année dernière, une fatigue extrême, je suis allée chez le médecin, j’avais un cancer du sein. Pris un peu tard. Il fallait que je m’arrête.
J’ai informé ma direction générale, je suis restée deux jours pour plier mes affaires. Ensemble, on a dégagé du monde pour faire mon travail pendant mon absence. Et puis je l’ai annoncé à certains collègues, certains partenaires et j’ai eu des messages de soutien. Mais je n’ai jamais rien reçu de ceux qui me remplaçaient, ni de la direction, rien, rien, rien. Au bout de six mois, j’ai envisagé de reprendre mon travail à mi-temps. J’ai envoyé un mail à la direction nationale pour envisager mes modalités de reprise, pas de réponse  ; j’ai rencontré le médecin du travail qui m’a dit  : «  Mais vous n’allez pas retourner dans la cage aux lions  ! Vous ne serez pas capable de résister  ! Je vous mets en inaptitude  !  »… ça m’a fait peur. J’ai prolongé mon arrêt de travail, je n’étais pas d’accord pour que ce soit elle qui décide pour moi.

Alors j’ai reçu une lettre de licenciement pour faute grave. Ils ont relevé une multitude de faits tout au long de mes six mois d’absence. J’ai pris une avocate. J’ai perdu pied, je partais en live, je suis devenue complètement irrationnelle. J’ai informé mes collègues directeurs qui m’ont dit : «  Oh mais moi aussi on pourrait me reprocher ça et ça  »
Je ne suis pas allée à l’entretien préalable de licenciement. Je sentais leur détermination à jeter la bête malade, c’était une mascarade. Je n’étais même pas convoquée au siège, mais dans l’établissement, devant tous mes salariés… Quelle humiliation  !
J’ai attendu ma lettre en pétant des câbles chez moi… Ils se sont servi de moi. J’aurais pu me douter que c’était trop dur de remplacer le directeur précédent. J’étais son adjointe, il est mort en plein milieu d’une inspection par la direction du siège… Accident vasculaire cérébral devant tout le monde. Je l’ai remplacée mais sans adjointe puisque l’adjointe, c’était moi. Ca faisait trop. Moi, la maladie a fait que je me suis arrêtée avant qu’il ne soit trop tard. Je suis en procès, mais je vis, je revis.

 
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