Cinéma : Django unchained




L’affaire semblerait entendue : le huitième long-métrage du « wonder-boy » hollywoodien consisterait en un nouveau cocktail explosif qui, prenant prétexte de l’esclavagisme étasunien, viserait exclusivement la jouissance la moins réflexive du spectateur. Agitées dans le shaker d’un récit aux rebondissements feuilletonesques, les références culturelles crépitent chez Tarantino comme autant de clins d’œil cherchant à tout prix la satisfaction pavlovienne d’un public blasé et adepte du second degré.

Le sang gicle comme de la purée de tomates pop, les zooms giflent l’espace tels les atemi de Bruce Lee, la narration s’autorise des écarts potaches par rapport à la chronologie, le motif récurrent de la vengeance autorise les gentils à punir les méchants et passez, muscade ! Après les hommages rendus à la littérature policière de gare (Pulp Fiction en 1994), au cinéma « blaxploitation » (Jackie Brown en 1997) et aux films d’arts martiaux asiatiques (Kill Bill 1 & 2 en 2002 et 2004), le western-spaghetti est désormais à l’honneur dans Django Unchained qui affirmerait, dans la continuité de Inglourious Basterds (2009), le règne décomplexé d’un principe de pur plaisir cinéphile au détriment de la vérité des événements passés. Au risque de paraître déplacé, voire obscène, comme l’a expliqué le réalisateur afro-américain Spike Lee. Ce dernier préférant rendre hommage à ses ascendants victimes d’un holocauste que leur manquer de respect en allant voir un western-spaghetti qui trahirait la réalité historique.

Il se trouve que le cas Tarantino est un peu plus compliqué, et son film bien plus intéressant que l’exercice superficiel de pyrotechnie citationnelle et narrative auquel on réduit encore son cinéma. D’abord parce que le cinéaste est un formidable narrateur doublé d’un tout aussi formidable directeur d’acteurs (Jamie Foxx, Christoph Waltz, Leonardo DiCaprio et Samuel L. Jackson proposent parmi leurs meilleures prestations). Ensuite parce que sa maestria narrative est au service d’un sens du récit dynamisé par une théâtralité explicite qui vise à mettre à l’épreuve l’intelligence et la malignité des personnages. Enfin parce qu’il investit le langage d’une puissance telle que la confiance et la croyance de l’autre sont constamment des objets de manipulation : dire c’est faire, et faire c’est faire croire. Tarantino est sans égal dans le cinéma contemporain quand il s’agit de faire parler ses personnages, moins pour ne rien dire que pour faire croire qu’ils ne disent rien alors même qu’ils luttent sournoisement pour défendre leurs intérêts. La violence n’explosant que lorsque l’os des habitudes incorporées vient contredire les mensonges proférés. Un échange de regards amoureux trop longtemps différé ou le refus de conclure un marché sur une poignée de mains possèdent ici une importance capitale.

Que raconte Django Unchained ? L’histoire d’une émancipation suffisamment exemplaire pour se passer des ressources fantasmatiques de
l’uchronie (la seconde guerre mondiale allègrement réinventée de Inglourious Basterds). Une histoire, pour la première fois chez Tarantino, parfaitement linéaire et voulue comme un roman de formation déclinant génialement la dialectique du maître et de l’esclave.

L’histoire d’un esclave (Django) qui apprend progressivement à retourner contre eux la violence des maîtres et de leurs valets en apprenant tout d’un chasseur de primes, un maître en ruse langagière originaire d’Allemagne. L’histoire d’un esclave qui doit réussir à triompher de son double négatif (Stephen), cet homme roué à la peau noire et portant le masque blanc des intérêts de son maître. Parmi les références du film, on compte Alexandre Dumas et ce n’est pas qu’un gag quand on sait que son père a été un général mulâtre de Saint-Domingue victime des purges raciales napoléoniennes pendant la révolte des esclaves débouchant sur la république d’Haïti en 1804. Cette révolte a pesé sur le philosophe allemand Hegel quand il conceptualisait la dialectique du maître et de l’esclave dont l’influence s’est exercée sur la pensée anticolonialiste révolutionnaire de Frantz Fanon, alors contemporaine des premiers westerns-spaghettis. La généalogie impure ou créole des références hétérogènes valant alors chez Tarantino pour affirmation esthétique d’un antiracisme conséquent.

Frantz B. (AL Seine-Saint-Denis)

 Django Unchained, Quentin Tarantino, avec Jamie Foxx, Christoph Waltz, Leonardo DiCaprio, 2h44min, sortie le16 janvier 2013

Pour une critique plus détaillée : www.libertaire93.org

 
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