Congrès FSU : comment renouveler une stratégie qui perd ?




Le 5e congrès de la FSU s’est tenu du 29 janvier au 2 février à Marseille. Bilan critique par un militant de la minorité syndicaliste révolutionnaire (tendance Émancipation) de la principale fédération syndicale de l’Éducation nationale.

Dès le début du congrès de la FSU, sa finalité était décidée : alors que le ministre De Robien venait de lancer une attaque sans précédent contre l’Éducation nationale en supprimant 5 000 postes et en détruisant le statut des professeurs (et 88 % des syndiqué-e-s à la FSU relèvent de ce ministère), le congrès, sur proposition du secrétaire général, Gérard Aschiéri, a décidé d’attendre le dernier jour pour parler des luttes. C’était une façon délibérée de torpiller des initiatives comme celle de l’assemblée générale d’Île-de-France qui avait voté la grève pour le 30 janvier (lire Alternative libertaire de février).

Un nouveau dada : la “ 6e confédération ”

Qu’est-ce qui fait courir les “ cadres ” de la FSU ? Avant tout une soif de reconnaissance parce que, derrière, il y a bien sûr des décharges syndicales. À entendre beaucoup de délégué-e-s, le but du syndicalisme, c’est la préservation de l’appareil, ce sont des victoires aux élections paritaires, et le reste importe peu. Depuis le congrès de Perpignan (janvier 2004), la FSU s’est lancée dans la syndicalisation de toutes les fonctions publiques (y compris territoriale et hospitalière). Le bilan de cet élargissement est mitigé. En dehors d’équipes syndicales qui sont enfin sorties de la CFDT et qui ont préféré la FSU à SUD ou à la CGT, le nombre de nouvelles et nouveaux syndiqué-e-s est insignifiant. Mais derrière cet élargissement, il y a surtout la volonté de jouer dans la cour des grands en devenant la “ 6e confédération syndicale ”. Une telle démarche est tout à fait opposée à l’unité syndicale, elle est pourtant farouchement défendue par la tendance École émancipée (ÉÉ, pilotée par la LCR) qui espère ainsi renforcer son poids dans l’appareil.

Dans sa soif de reconnaissance, la FSU frappe aussi à la porte de la très libérale Confédération européenne des syndicats (CES) qui est moins un syndicat qu’une officine (ses 150 permanent-e-s sont payé-e-s par les institutions européennes). Elle souhaite aussi adhérer à la récente Confédération syndicale internationale (CSI) qui veut refonder le syndicalisme international sur la base du “ partenariat ” avec le patronat et hors, bien sûr, de toute idée de lutte des classes.

L’École émancipée (ÉÉ), là encore, soutient ces adhésions. Mais à la FSU, il faut 70 % des voix pour prendre une décision. Du coup, le processus de Perpignan ne sera pas accéléré et la “ 6e confédération ” ne verra pas le jour dans un avenir proche. Sur la CES, les différents courants opposés à l’adhésion – dont trois tendances minoritaires, plusieurs petits syndicats et des départements dirigés par des militant-e-s ou d’ex-militant-e-s du PCF – détiennent une minorité de blocage. Sur la CSI, l’adhésion a été repoussée d’extrême justesse (69,7 % pour), mais la direction va revenir à la charge pour essayer d’emporter la décision grâce à une “ consultation ” des syndiqué-e-s. L’an dernier, c’est d’extrême justesse que l’entrée des syndicats de l’enseignement privé dans la FSU – avec leurs revendications spécifiques – avait été bloquée.

Du côté des invités, Richard Moyon, porte-parole du Réseau Éducation sans frontières (RESF), a fait une intervention très émouvante. Annick Coupé pour l’union syndicale Solidaires a plaidé en vain la cause des précaires. Et Bernard Thibault a assuré que CGT et FSU défendraient ensemble le droit de grève s’il était attaqué.

Pseudo-actions invisibles

La FSU est officiellement organisée en tendances. En fait les syndicats nationaux 1 détiennent l’essentiel du pouvoir et les espaces de syndicalisme intercatégoriel ou interprofessionnel sont inexistants. Les instances délibératives sont devenues des lieux de confrontation “ parlementaires ” où les différentes bureaucraties syndicales élaborent leurs compromis.

Cette structure renforce le corporatisme et diminue l’éventualité de lancer des luttes. Ces dernières années, alors que le pouvoir s’est livré à des attaques d’une rare violence, la FSU a systématiquement adopté la même position : des accords avec les syndicats les plus droitiers, des grèves isolées qualifiées de “ temps forts ”, des tas de pseudo-actions invisibles et un refus systématique des assemblées générales, des coordinations et de toutes les formes d’auto-organisation. Résultat, une suite quasi ininterrompue de défaites graves. Seule exception : le CPE, mais la victoire obtenue ne doit pas grand-chose à la FSU, c’est la détermination de la jeunesse en lutte qui l’a permise.

Les précaires vus comme des ennemis

Un congrès FSU, ce sont quatre thèmes (l’école, les statuts et salaires, “ l’alternative ” et la structuration syndicale) et un seul texte commun, savant compromis entre les différentes composantes, qui laisse finalement le champ libre à la direction “ hétérogène ”. Notons que, du coup, la tendance Émancipation, qui refuse de s’inscrire dans une logique d’amendement, et qui a des motions alternatives sur tous les sujets, prend le risque d’apparaître comme sectaire.

Première remarque : dans le très long texte du congrès, il n’y avait pas une ligne sur la laïcité. Autrement dit, la FSU n’a rien à dire sur la privatisation rampante de l’Éducation, les remises en cause de la séparation de l’Église et de l’État ou sur le fait que l’enseignement privé a institutionnalisé la concurrence généralisée entre les établissements scolaires et la destruction de la carte scolaire. Un amendement d’Émancipation demandant entre autres la “ nationalisation sans indemnité ni rachat ” de tous les établissements a néanmoins obtenu plus de 50 % de voix. Pas assez pour être adopté.

Sur l’école, la FSU s’accommode d’une école à deux vitesses qui pratique le tri social. Il faut dire que le Snes, principal syndicat du secondaire, est pour la diversification à outrance et donc pour l’existence de filières ségrégatives. En règle générale, la FSU n’est porteuse d’aucune remise en cause de l’école actuelle et d’aucun projet novateur.

Sur la question de la précarité, la FSU demeure totalement braquée. Les précaires sont considéré-e-s comme des ennemi-e-s, comme une menace sur les statuts.

Développer une orientation alternative

Ces dernières années, les non-titulaires ont été licencié-e-s par milliers. De nombreuses catégories ont disparu (notamment parmi les personnels de vie scolaire). Les postes au concours n’arrêtent pas de diminuer. Du coup, les précaires fuient une fédération qui ne les défend pas. Et qui n’a pas l’intention de le faire. La FSU continue de préconiser des “ plans spécifiques de titularisation ” qui n’ont abouti qu’à laisser des dizaines de milliers de précaires dans des conditions aggravées. Sur les statuts des personnels, la FSU entend respecter la hiérarchie sociale. Les augmentations salariales sont demandées en pourcentage. Chaque catégorie, même la plus favorisée, a droit aux revendications catégorielles, y compris les chefs d’établissement, dont certains viennent de rejoindre la FSU.

Cette année, un thème complet du congrès concernait “ l’alternative ”. Oh, ce n’est pas une alternative au capitalisme. C’est plutôt dans le cadre d’une relance keynésienne de l’économie. On y trouve des propos naïfs sur “ comment mieux répartir les richesses entre capital et travail ”. À ce chapitre, il faut noter que, sur certains plans, la FSU a progressé. Malgré les résistances d’une partie de l’appareil, la FSU s’est ralliée au mot d’ordre de régularisation de tous les sans-papiers et on la retrouve dans divers collectifs contre les dérives sarkozystes ou au RESF.
Enfin, le thème “ syndicalisme ” qui devait être le centre du congrès n’a pas accouché de grand-chose.

Faute de pouvoir grossir, la FSU se concentre sur la défense de l’appareil et sur sa reconnaissance institutionnelle. On est loin du mythe de la “ fédération novatrice, unitaire et combative ” des années 1990. La FSU est désormais un appareil de plus dans la désunion syndicale, qui oscille entre un discours de fermeté et un discours de “ dialogue social ”.
Que peuvent faire des syndicalistes révolutionnaires dans une telle fédération ? Développer une orientation alternative qui sème le doute ou la sympathie chez bon nombre de congressistes. Développer des alliances sur certains sujets (la laïcité, l’opposition à la CES et à la CSI, la précarité). De nombreux votes (à 40 ou 50 %) ont montré que plusieurs débats restent ouverts : pour la nationalisation laïque, pour le droit de vote et d’éligibilité des immigré-e-s à toutes les élections, contre les jeux olympiques de Pékin, pour la titularisation de tous les précaires…
Et l’action ? Le débat aura été expédié en une heure. Avec toujours la même réponse : “ Vous voulez lutter ? La FSU vous soutient. Vous ne voulez rien faire ? La FSU vous soutient. ” Après le congrès de la FSU, des grèves se sont généralisées dans les établissements scolaires les plus durement touchés par les suppressions de postes et la pénurie. Mais la riposte unitaire d’ensemble est remise à une date indéterminée.
Pierre Stambul (Marseille)

 
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