Documentaire : Losa et Garbely, « Paradis fiscal, enfer social »




Parmi la quinzaine de documentaires présentés dans le cadre des 42es Journées cinématographiques de Soleure, du 22 au 28 janvier 2007, on découvre Paradis fiscal, enfer social de Frank Garbely et Mauro Losa qui éclaire quelques pans de la nébuleuse Glencore.

Sur les 24 000 habitant-e-s recensé-e-s à Zoug, plus de la moitié sont des sociétés-boîtes aux lettres. La charmante ville alémanique au cachet médiéval doit essentiellement son rang de grande place commerciale aux traders, ces courtiers en matières premières, aussi amoraux que discrets. Une des figures de cette caste argentée de spéculateurs : Marc David Rich (de son vrai patronyme : Reich). L’Américain, né à Anvers, cupide et sans le moindre scrupule, acheta à l’Iran du pétrole, qu’il paya avec des armes, en pleine “ crise des otages ” à Téhéran. Il pourvut également en pétrole brut l’Afrique du Sud sous le régime d’apartheid, puis plus tard, fourgua son artillerie au regretté Slobodan Milosevic.

Le 19 septembre 1983, un grand jury fédéral aux Etats-Unis énuméra cinquante et un chefs d’accusation (évasion et fraude fiscales, conspiration avec l’ennemi…) à l’encontre de l’expert en blanchiment de fric sale, qui encourrait… 325 années de prison. Le bailleur de fonds dans maints coups sanglants de la CIA sentit le vent du boulet (sa tête mise à prix pour 750 000 dollars) et implanta son quartier général à Zoug. Le 20 janvier 2001, juste avant de déblayer le bureau ovale, William Jefferson Clinton le gracia. Denise Eisenberg, l’ex-épouse de Marc David Rich, gratifia le Parti démocrate d’un million cent mille dollars et le manieur de cigares de quatre cent mille dollars pour sa bibliothèque privée de Little Rock (Arkansas). Le fugitif, lié au Mossad et acoquiné avec des mafieux russes, figura durant huit ans sur la liste des "individus les plus recherchés" par le FBI. Il ne risquait pas l’extradition, puisque la loi suisse ne réprime pas les délits que les juges américains lui imputaient. Le milliardaire se retira de l’avant-scène en 1993. Ses fidèles lieutenants reprirent le flambeau de la Marc Rich and Co, domiciliée à Baar mais gérée à Londres. Ils la rebaptisèrent Glencore.

En 2005, le consortium a réalisé un chiffre d’affaires de 119,9 milliards de francs suisses, nettement devant Nestlé (91 milliards), Novartis (42,4 milliards), Roche (35,5 milliards). Les deux auteurs se focalisent sur ses activités en Colombie. Le syndicat Sintraminercol, mené par Francisco Ramirez, l’accuse de corruption et de violation systématiques des Droits humains dans les mines de charbon à Cerrejón, dans la province de la Guajira. Le site, un des plus immenses à ciel ouvert au monde, s’étend sur 95 000 hectares. Le 9 août 2001, les villageoi-se-s de Tabaco se rebellèrent contre l’extension des terrains d’exploitation. Les bulldozers commencèrent l’excavation, mais toute la région se mobilisa. En vain !

Un cimetière incendié…

Le 28 janvier 2002, des escadrons anti-émeutes et plus de 200 fantassins encerclèrent la localité pour l’anéantir, n’hésitant pas à incendier le cimetière. Les communes d’Albania, Data Nueva, Mamantial et Chancleta connurent un sort identique. Dans une missive expédiée le 28 octobre 2005, à Frank Garbely, Lotti Grenacher, chargée de la communication, nia toute implication de Glencore dans ces événements. Un mensonge éhonté ! La holding, qui possédait 33 % de Cerrejón, n’a cédé ses parts que le 12 mai 2006 à Xstrata dont elle possédait déjà 13,9 % des titres.

Debora Barros Fince milite en faveur des revendications de sa tribu, les Wayúu, également victimes des expulsions arbitraires par les potentats et des exactions impitoyables de leurs vassaux. Des grillages encerclent leurs terres ancestrales vouées à la destruction avant de futures fouilles houillères. Comme des centaines d’autres, les proches de la jeune femme ont quitté la région de Bahia Portete pour s’installer dans les quartiers déshérités de Maracaibo au Venezuela. Le 18 avril 2004, des paramilitaires perpétrèrent un massacre sur la presqu’île, à proximité de Puerto Bolivar. Deux fillettes de deux et trois ans périrent, brûlées vives. Treize dépouilles furent retrouvées, trente personnes sont portées disparues. Le 5 novembre 2005, Debora écrivit à Willy Strothotte, le PDG de Glencore. Comme celui-ci n’a pas daigné lui répondre, elle s’est déplacée au siège de la multinationale. Sans succès ! “ Des misérables ! ”, lança-t-elle, munie d’une carte avec les coordonnées où envoyer ses doléances réitérées.

Dans ce havre si tranquille pour les “ global players ” avides de profits maximalisés, les anciens tuyautent les nouveaux venus. Les politiciens du cru envisagent d’autres réductions d’impôts. Le conseiller d’Etat Walter Suter (Parti démocrate-chrétien) conclut, sans s’en désoler, à l’impossibilité de "prescrire des règles éthiques aux entreprises, qui bénéficient d’un espace de liberté dans un système économique libéral"…
L’on se souvient du lâchage, le 16 janvier 2003, par Metaleurop de sa filiale de Noyelles-Godault (Pas de Calais), la plus importante fonderie de zinc et de plomb sur le Vieux Continent, sciemment vidée de sa substance. Bilan : 830 salariés sur le carreau, sans préavis, ni “ plan social ”, un site, classé “ Seveso 2 ”, pollué à l’extrême. Le 27 février 2007, le Tribunal de Grande Instance de Béthune a refusé de la condamner à régler l’ardoise (50 millions d’euros). L’actionnaire principal : Glencore…

René Hamm

  • Mauro Losa et Franck Garbely, Paradis fiscal, enfer social, Télévision Suisse Romande, 54 mn, 2006.
 
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