Dossier CPE : Syndicalisme étudiant : Forger nos outils de lutte




Le quidam qui aurait suivi le mouvement par le prisme unique de la télévision aura pu croire que la lutte était intégralement dirigée par l’Unef ou la Confédération étudiante. Quelle surprise n’aurait-il pas eu en assistant aux assemblées générales... Les différents syndicats de lutte (SUD, CNT, FSE) ont constitué l’autre pôle d’animation du mouvement, bien plus en phase avec la radicalité qui s’y est exprimée. Quel bilan (succès, échecs, limites) tirer de leur action ?

L’a-t-on assez remarqué ? Contrairement à ce qui est d’usage pour les syndicats de salarié(e)s, à aucun moment il ne s’est tenu d’intersyndicale étudiante pour organiser la mobilisation contre le CPE. De façon assez symptomatique d’un état de division et de faiblesse, les syndicats étudiants (de l’Unef à la CNT en passant par SUD et la FSE) se sont, au début du mouvement, mis à la remorque d’un collectif fourre-tout, baptisé “ Stop-CPE ”. Constitué dès le 19 janvier, ne faisant aucune distinction entre les organisations syndicales et politiques, le collectif Stop-CPE allait des JCR à FO-Jeunes, en passant par tous les satellites du PS (MJS, UNL, FIDL, Unef, Fédération Léo-Lagrange, Unsa-Jeunes...).

Très rapidement, pour les militant(e)s autogestionnaires s’est posée la question de réussir à se passer de ce collectif dont l’existence n’était que médiatique, alors que la mobilisation réelle peinait à se faire. L’auto-organisation de la lutte sur les campus devait rendre obsolète et illégitime ce qui dès lors s’apparenterait à un état-major mexicain. Pour cette raison, AL s’est rapidement retirée du collectif, de même que la CNT et SUD-ÉtudiantEs.

C’est donc dès les premières semaines, alors que la mobilisation était poussive, que la distinction s’est opérée dans la stratégie entre syndicats cogestionnaires et syndicats autogestionnaires.

Les syndicats gestionnaires comme l’Unef ou la Confédération étudiante (Cé) ont été rapidement dépassés par la vigueur et la radicalité du mouvement. Dans les AG, leurs positions “ molles ”, notamment sur le blocage, se sont retrouvées minoritaires. Dans les pratiques, ce sont bien les syndicats de lutte (SUD, CNT, FSE) qui ont marqué des points en imposant des AG souveraines, des mandats révocables, des comités de grève ouverts, etc. Parfois l’expérience des mouvements passés a permis assez rapidement d’instituer des formes de démocratie directe. On en a vu l’exemple à Rennes, Aix-en-Provence, Toulouse ou encore Poitiers, Orléans...

L’apparition médiatique des organisations type Unef a été en parfait décalage avec la réalité du terrain, même si, dans quelques endroits l’Unef “ tenait ” les AG. En fait les syndicalistes de SUD de la CNT ou de la FSE ont été, avec des non-syndiqué(e)s, les véritables animateur(trice)s du mouvement.

Lacunes des autogestionnaires

Pourtant, cette volonté de démocratie à la base, opérante localement, n’a pas su se transposer au niveau des coordinations nationales, qui ont trop souvent été le théâtre des manœuvres des bureaucrates de l’Unef appuyées par certain(e)s militant(e)s de LO et des JCR. Usurpation de mandats, volonté farouche de ne pas élargir les revendications, non-respect du mandat impératif, vote en bloc par organisation ont été les principaux obstacles auxquels ont dû faire face les délégué(e)s étudiant(e)s. Ces pratiques en ont d’ailleurs dégoûté un certain nombre. Les coordinations régionales ont souvent avancé sur des bases beaucoup plus démocratiques, dans la mesure où ces appareils avaient moins de prise.

Face à cela, les syndicats de lutte, dont SUD-ÉtudiantEs, ne se sont pas suffisamment coordonnés pour contrecarrer les magouilleur(se)s. Par angélisme, manque d’expérience ou par fatigue, les militant(e)s syndicalistes autogestionnaires n’ont pas pu, et pas su, faire face. Or il est crucial de comprendre qu’au sein d’un mouvement auto-organisé, il faut aussi “ compter ” avec des forces politiques hostiles à l’auto-organisation, et qui cherchent à la saboter pour accaparer la direction du mouvement. Et face à cela, la coordination de militant(e)s consciemment autogestionnaires n’est pas un frein à l’autogestion, bien au contraire. En novembre 1995, les nervis de l’Unef-ID (actuelle Unef) avaient physiquement attaqué une Coordination nationale étudiante pour la briser. En 2006, ils ont choisi, plus finement, de s’y inscrire pour la marginaliser, monopolisant dans les médias la représentativité du mouvement.

Lacunes générales du mouvement syndical

Une autre lacune, valable elle pour chaque organisation syndicale, c’est l’incapacité de proposer au sein du mouvement des revendications “ en positif ” pour combattre la précarité. Pourtant, chaque syndicat dispose de revendications propres qui auraient mérité d’être mises au débat dans les AG. Les organisations traditionnelles n’ont pas l’habitude de soumettre leurs revendications lors des mouvements, préférant profiter des élections pour le faire. Mais on aurait pu attendre des syndicats de lutte qu’ils mettent en avant des revendications qui avaient toute leur place au sein du mouvement - par exemple la question du salaire social. La question de la redistribution des richesses était pourtant au cœur des débats et c’était le rôle des syndicats de lutte d’avancer sur les moyens d’y parvenir. La question de l’autonomie de la jeunesse est un thème qui revenait sans cesse. Par peur de “ récupérer ” le mouvement, les syndicalistes autogestionnaires ont préféré mettre de côté leurs idées plutôt que de les soumettre au débat. On peut incriminer le manque de formation autour de revendications “ économiques ” ainsi qu’une réelle pauvreté de débats en interne sur ces questions.

Cependant les syndicats de lutte ont bénéficié en terme d’image de leur combativité sans arrière-pensée et de leur engagement sincère dans le mouvement, qui peut se traduire par des adhésions d’étudiant(e)s désireux(ses) de s’organiser pour poursuivre le combat. Mais il faut encore convaincre de l’utilité de l’outil syndical, organiser des débats, des formations sur les questions sociales mais également sur le type d’université alternative à construire. Il faut montrer qu’en s’organisant on est plus fort.

Pourquoi renforcer le syndicalisme alternatif

On peut encore mettre au crédit des syndicats de lutte, et notamment de SUD-ÉtudiantEs, le développement des liens interprofessionnels. Nous ne parlons pas des velléités de quelques groupes gauchistes d’aller “ interpeller ” les bureaucraties confédérales en manifestant à leur siège - démarche bien dérisoire et n’aboutissant qu’à créditer ces bureaucraties - mais bien du travail à la base qui a pu se réaliser ici où là : diffusions devant les boîtes, actions communes, interventions en AG de salarié(e)s. Ce travail, qui est apparu nécessaire très tôt dans le mouvement est l’aboutissement de campagnes régulières des syndicats refusant le corporatisme étudiant. La composition sociale étudiante a changé depuis 1995 et de plus en plus les étudiant(e)s sont confronté(e)s au salariat. Il faut pouvoir capitaliser ces expériences, lancer des campagnes autour des étudiant(e)s salarié(e)s, organiser des permanences sur le droit du travail, etc.

L’expérience du mouvement le démontre : il nous faut un outil solide pour préparer, lancer et favoriser une authentique autogestion de la lutte. Sans cet outil, les étudiant(e)s n’ont le choix qu’entre l’Unef et quelques éphémères petits groupes radicaux qui vibrionnent sans stratégie d’action. Il y a donc du pain sur la planche, et matière à renforcer les syndicats alternatifs. À nous de mettre en avant l’auto-organisation et la démocratie directe, non pas comme un moment exceptionnel valable uniquement durant la lutte, mais bien comme un projet politique global de transformation de la société.

Julien (AL Paris-Sud et syndicaliste étudiant)

 
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