École primaire : Passé antérieur et futur libéral




Xavier Darcos réussit la synthèse entre la droite réactionnaire et la droite ultralibérale. Derrière le discours du « c’était mieux avant » se cache une entreprise de libéralisation de l’enseignement : la réduction du nombre d’enseignantes et d’enseignants s’accompagne de mesures de régression sociale touchant en premier lieu les élèves issus des milieux populaires. L’exemple de l’école primaire.

Dans les différents projets de réforme de l’école primaire, la question des programmes est emblématique d’une volonté d’en « finir avec l’héritage de Mai 68 ». C’est clairement annoncé : l’enfant ne va pas à l’école pour apprendre à penser, réfléchir ou s’ouvrir sur un monde de plus en plus complexe mais pour se remplir la tête de « savoirs ». Les contenus sont recentrés sur le français, les maths et l’éducation physique et sportive en école élémentaire, sur le vocabulaire et l’étude des sons en maternelle. Cela réduit les apprentissages à des visées étroitement utilitaires sans permettre l’ouverture culturelle sur d’autres horizons, nécessaire au développement de chacune et chacun. Cet appauvrissement s’accompagne d’apprentissages inadaptés à l’âge des élèves. Ces logiques ne peuvent que renforcer l’échec scolaire des élèves issus des milieux populaires.

Sans revenir sur les aspects les plus caricaturaux (voir « Allons enfants de la patri-hi-eu ! », Alternative libertaire 173, mai 2008), il est important de mettre tout cela en rapport avec le contexte dans lequel s’inscrivent ces projets de réforme. Comme toute la fonction publique, l’Éducation nationale est concernée par la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Le gouvernement y met aussi en œuvre son offensive ultralibérale de casse des services publics et du statut des fonctionnaires.

Éducation nationale cherche bénévoles

Pour être plus clair, il s’agit de diminuer drastiquement le nombre de fonctionnaires. Dans le primaire, les nouveaux programmes permettent se supprimer les samedis. Mais cela passe également par la disparition attendue et programmée des personnels intervenant aux côtés des instituteurs et professeures des écoles, notamment pour les élèves en difficulté (ce qu’on appelle les réseaux d’aide ou Rased).

La question de la difficulté scolaire sort ainsi du temps d’enseignement : les enseignantes et enseignants seront obligé-e-s de prendre des élèves en soutien… hors du temps scolaire. Les 108 heures annuelles dégagées par l’instauration de la semaine de quatre jours pour les enfants, sont donc complètement annualisées. Sans parler du fait que le gouvernement propose aux enseignantes et enseignants, sous forme d’heures supplémentaires, de travailler avec ces mêmes élèves en difficulté pendant les vacances scolaires. Moyen de conjuguer le « travailler plus pour gagner plus » dans le primaire et de ne pas répondre aux revendications sur les augmentations de salaire [1]. Et puisque les difficultés sont alors prises en charge par les enseignant-e-s eux-mêmes (non spécifiquement formé-e-s pour cela), à quoi servirait le maintien des Rased et donc des personnels qui ne sont pas en charge de classe ?
Le corps des enseignantes et enseignants remplaçants est aussi en train de fondre. Le nombre de places au concours de recrutement est quasiment divisé par deux dans certaines académies. Et dès cette année, il a déjà été proposé à des retraité-e-s de venir remplacer les instituteurs absents (si, si !).

Plus grave, la disparition des concours d’entrée est tout à fait probable. (voir « Laissons-les concourir », Alternative libertaire 173, mai 2008). Les professeurs titulaires d’un diplôme d’enseignement seraient donc amenés à « se vendre » auprès des chefs d’établissement (qui rappelons-le, recrutent déjà une partie du personnel non enseignants depuis la loi sur la décentralisation).

École à vendre

Pour le primaire, il n’existe pas d’école avec Conseil d’administration et chef d’établissement comme dans le secondaire. Mais plus pour longtemps ! Dans les cartons du Ministère figure un projet de création d’Établissement publique d’enseignement primaire (Epep). Ces Epep prendraient la forme de regroupements d’écoles dirigés par un Conseil d’administration dans lequel siègeraient des élus locaux (majoritaires) aux côtés des parents d’élèves. On imagine les conséquences sur le caractère national de l’enseignement compte tenu des clivages politiques et des différentes priorités d’une commune à l’autre en matière d’éducation. Ce Conseil d’administration choisira son chef d’établissement (une sorte de « super directeur ») qui sera le supérieur hiérarchique des enseignant-e-s du primaire, en lieu et place d’un collègue déchargé comme c’est le cas aujourd’hui.

Mais pour être tout à fait de droite, ces projets doivent prendre modèle sur le privé. Darcos prévoit la publication des résultats des élèves, école par école, ce qui, couplé à la disparition de la carte scolaire, vise implicitement la mise en concurrence des écoles entre elles. Une concurrence dont les élèves issus des milieux populaires seront les premières victimes !

Après plusieurs mois de mobilisation, parents, enseignantes et enseignants sont effaré-e-s par la volonté du gouvernement de passer en force. La seule réponse apportée aux mobilisations est la volonté de légiférer au plus vite sur le service minimum dans l’Éducation.

Face à une telle fin de non-recevoir, la radicalité doit l’emporter. Au-delà des grèves d’une journée, un mouvement de grèves reconductibles – entamé dans certains endroits à l’appel notamment de Sud, de la CNT et de différentes assemblées générales et qui, à l’heure où nous écrivons, n’arrivent pas à s’étendre – nécessiterait un plus fort engagement de la part des organisations syndicales majoritaires, qui semblent bien frileuses au regard des enjeux. Des consignes syndicales claires sur le refus d’appliquer ces réformes à la rentrée comme la volonté de s’engager – parents et enseignantes – dans un mouvement de désobéissance civile sont des options qui doivent être discutées dès maintenant.

Victor Novak

<titre|titre=Non aux fichages des élèves>

L’Éducation nationale met actuellement en place un système de fichier centralisé des élèves appelé « Base élèves » sans que les parents ne soient informé-e-s du fichage de leurs enfants. Il s’agit d’un programme gérant l’envoi par internet de renseignements sur les élèves et leurs familles, centralisés dans une base nationale. Cette base sera accessible aux directeurs d’écoles, à l’administration de l’Éducation nationale et aux… maires. Ceux-ci pourront y retrouver les données familiales, sociales (aides, suivi extérieur...) et scolaires (suivi psychologique, absentéisme, interventions du Rased, ...)

Ce programme a été élaboré en l’absence de tout débat démocratique sur sa finalité, son fonctionnement et ses possibilités de croisement avec d’autres fichiers (police, justice, …)

La finalité affichée est d’« apporter une aide à la gestion locale des élèves, assurer un suivi statistique des effectifs d’élèves et permettre un pilotage pédagogique et un suivi des parcours scolaires ». Mais dans la mesure où il opère le fichage de tous les enfants, l’une des utilisations vraisemblables de ce système renvoie à la Loi de prévention de la délinquance du 5 mars 2007. Cette loi place le maire « au centre de la politique de prévention » avec de nouveaux pouvoirs, en le faisant notamment bénéficier de la notion de « secret partagé » avec différents acteurs sociaux. « Base élèves » se situe donc dans la droite ligne du rapport Benisti qui, pour prévenir « les comportements déviants », préconise la détection précoce des troubles comportementaux infantiles dès la crèche…

L’établissement de fichiers d’informations concernant des enfants dès leur plus jeune âge est une menace pour les libertés individuelles car l’informatique permet de recouper les différents fichiers sans intervention humaine (CAF, école, gendarmerie, sécu...).

Les libertés individuelles sont trop importantes pour être abandonnées au bon vouloir des gouvernements et des administrations. Nous demandons la suppression définitive du système « Base élèves » et des données déjà collectées.

Winston Smith

[11. Le pouvoir d’achat des professeurs a chuté de 20 % en moyenne entre 1981 et 2004, tandis que celui des professeurs des écoles régressait de 9 %. C’est ce que révèle une étude publiée en janvier par trois économistes de la Sorbonne (Le Monde, 2-01-2008)

 
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