Edito : Ne pas se tromper de colère




Les banlieues flambent, les loups hurlent. Sarkozy, Le Pen, De Villiers et leurs sectateurs rivalisent pour multiplier les appels à la haine raciste. Leurs éructations sont relayées avec la plus grande complaisance par la plupart des médias qui reprennent leur grille de lecture en faisant passer les tensions sociales actuelles pour des tensions ethniques, en misant sur le mensonge, la stigmatisation et les peurs.

Il s’agit bien de marteler des clichés (“ zones de non droit ”, “ sauvageons ”, “ racailles ”...) pour imposer un programme politique : celui de la tolérance zéro.

La tolérance zéro est le discours de la démagogie et de l’hypocrisie totale de la bourgeoisie et plus généralement de tou(te)s les bien-pensant(e)s qu’ils/elles soient UMP, UDF, FN ou PS. C’est une tolérance dans les faits à 100 % des discriminations envers les immigré(e)s (contrôles policiers, embauche, logement, éducation...), envers les femmes (violences qui touchent 10 % d’entre elles et débouchent sur près de 100 meurtres par an en France, injures sexistes, pubs sexistes, embauche, rémunération...), envers les jeunes (flicage, répression de leurs actions revendicatives, stages non payés, travail précaire de masse, développement de la prostitution pour financer ses études...).

Et c’est aussi une tolérance à 100 % de la fraude fiscale (50 milliards d’euros par an) dont l’essentiel provient de 2 % des contribuables et porte pour une grande part sur les revenus professionnels, financiers et la TVA. C’est une tolérance à 100 % des accidents du travail (721 227 en 2003) rendus possibles notamment par le fait que les gouvernements de droite comme de gauche n’ont jamais souhaité compter plus d’un millier d’inspecteurs/trices du travail pour contrôler plus de 1 500 000 entreprises.

Autrement dit pour qu’une minorité vive bien, il faut que des millions de personnes vivent dans une situation de grande précarité et de contrôle social et policier renforcé.

Alors, après 3 semaines d’émeutes, un ordre de type colonial règne dans les banlieues. Et comme en 1955 quand fut promulgué le décret instaurant l’état d’urgence, peu nombreux/ses sont celles et ceux qui prennent la mesure de cet état d’exception et de la remise en cause des libertés qu’il suppose.

Le spectacle qu’offrent les partis de gauche, voire d’extrême gauche, la plupart des syndicats, et même nombre d’associations, qui font profession de foi de combattre le racisme et défendre les droits humains, est tout à fait lamentable. Au lieu de redoubler d’énergie et de mobiliser pour l’abrogation du décret de 1955 et des lois sécuritaires de droite et de gauche, le retrait des forces de répression des quartiers populaires, la mise en cause des policiers dans le drame de Clichy, l’abandon des poursuites judiciaires contre les émeutiers et l’amnistie de ceux qui ont été condamnés, tout en exigeant l’indemnisation par l’État des biens de particuliers détruits ou endommagés, ainsi que l’accès de toutes et tous à la santé, l’emploi, l’éducation et le logement, toutes ces organisations se contentent de se fendre de communiqués plus ou moins indignés. Et il n’est bien sûr pas question de prendre des initiatives à la hauteur que la situation exige.

Cette résignation est révélatrice des peurs, de l’aveuglement et de l’absence de lucidité qui travaillent et divisent ces organisations dont une partie des responsables et des militant(e)s approuvent les politiques sécuritaires mises en œuvres depuis des années.
Sans mythifier la figure - toujours masculine - du “ jeune rebelle des banlieues ” à l’ombre desquels vivent aussi des jeunes filles qui ont encore moins le droit à la parole et souffrent doublement des discriminations, nous devons faire comprendre qu’il n’y a pas “ eux ” et “ nous ”.
Cette prise de conscience est nécessaire pour faire tomber le rideau de fumée du discours sécuritaire et surmonter les divisions qui empêchent les opprimé(e)s de se rassembler pour porter ensemble des coups décisifs contre la dictature du capital.

Alternative libertaire, le 27 novembre 2005

 
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