Egalité : Au-delà du mariage... Même homosexuel !




Cette année encore, la Marche des fiertés lesbiennes, gays, bi et trans a mis en avant la revendication du mariage homosexuel, en lien avec celles de l’adoption et de la procréation assistée pour les couples du même sexe. Portée à l’origine par les gays, elle s’apparente à une légitime revendication d’égalité des droits pour tous les couples. Elle a pris aujourd’hui une place centrale dans le combat pour la reconnaissance des sexualités « non-conventionnelles ».

Dans les années 1970, les lesbiennes se battaient aux côtés des féministes pour critiquer l’institution patriarcale qu’est le mariage et aspiraient à jouir des mêmes droits que toute autre personne, indépendamment de leur orientation sexuelle et même de leur situation conjugale ou familiale [1]. La revendication de l’ouverture du mariage aux couples homosexuels ne renforce-t-elle pas une institution normative et d’oppression sociale pour les femmes, qu’il faudrait par ailleurs détruire ?

Rôle normatif de l’État

Dans Défaire le genre, la chercheuse américaine Judith Butler pose bien les enjeux du problème [2] : demander le mariage pour les couples homosexuels, c’est recourir à l’État pour légitimer les associations entre personnes. C’est aussi couler le couple dans le moule dominant et donc participer à l’élargissement et au renforcement de la norme. Cela ne reviendrait-il pas à déplacer au sein même du groupe des homosexuels la limite entre ce qui est reconnu et ce qui ne l’est pas ; c’est-à-dire entre les couples durables et fidèles, les plus présentables selon les critères dominants, et les autres ? C’est donc reconnaître implicitement comme illégitimes toutes les autres formes d’associations et de rencontres entre personnes, que ce soit l’union libre, la polyfidélité, l’amour à plus de deux, ou l’amour à deux sans cohabitation. Et même le célibat, puisque le mariage accorde des privilèges, notamment fiscaux, aux personnes vivant en couple, vieil héritage d’une politique nataliste et réactionnaire, pourtant rarement remis en cause.

Ces privilèges accordés aux personnes mariées ont partie liée avec l’institution de la famille, qui fait du couple la base de la procréation et limite l’éducation des enfants au strict cadre familial : l’entité parentale serait d’abord un couple sexuel et hétérosexuel. C’est d’ailleurs la raison de la principale résistance des opposants au mariage homosexuel : refuser aux gays et aux lesbiennes le droit de fonder une famille et d’avoir des enfants.

Mais les homosexuels ont déjà mis au monde ou adopté des enfants, en s’auto-organisant, sans passer par la reconnaissance de l’État, et selon des modalités alternatives à la famille traditionnelle : deux femmes faisant appel à un donneur, garde partagée entre un couple d’hommes et un couple de femmes, association entre gays et lesbiennes célibataires. Et alors même que l’institution du mariage est remise en cause de facto par la multiplication des divorces, les recompositions familiales ou les naissances hors mariage, la revendication du mariage homosexuel se situe à contre-courant, demandant une normalisation du couple homosexuel plutôt que de revendiquer la possibilité pour tout le monde de s’aimer librement.

Pour l’abolition du mariage, du couple et de la famille

La revendication du mariage altère la richesse subversive de l’homosexualité, qui pourrait au contraire profiter à tous et toutes en favorisant la déconstructions des genres et des normes qui prétendent réguler la sexualité et l’amour. Le groupe des homosexuels a toujours été et pourrait rester un aiguillon de la lutte pour la liberté sexuelle et amoureuse. Mais cette lutte passe inévitablement par l’abolition du mariage, la fin des privilèges accordés par l’État aux couples, quels qu’ils soient et le renforcement des droits individuels indépendamment de la situation familiale des individus.

Après les parents divorcés, la parentalité homosexuelle expérimente une dissociation révolutionnaire entre couple parental et couple sexuel, le traumatisme de la séparation en moins. Elle remet aussi au goût du jour l’expérience de l’éducation par un groupe (par exemple avec la garde partagée), sans primauté du lien biologique. Et c’est bien cela qu’il faut valoriser : à la fois l’auto-organisation des personnes et de leur vie amoureuse et le développement de nouvelles formes de parentalité, comme par exemple des associations entre ami-e-s célibataires, quelle que soit leur orientation sexuelle.


Anne Arden (AL Paris Nord-Est).

[11. Voir l’article de Marie-Jo Bonnet, « La reconnaissance du couple homosexuel. Normalisation ou révolution symbolique ? », conférence prononcée le 13 juin 1998 à Paris, lors de la 6e Journée de l’Association Nationale des Études Féministes, http://semgai.free.fr/contenu/textes/bonnet/MJB_RCH.html.

[22. Judith Butler, Défaire le genre, Paris, Éditions Amsterdam, 2006, 336 p. Voir notamment le chapitre 5, « La parenté est-elle toujours déjà hétérosexuelle ? »

 
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