Engager la bataille contre les licenciements et les délocalisations




Cette motion est issue des réflexions de la branche Entreprises d’AL

La destruction planifiée par l’État et le patronat du droit à l’emploi – et, en parallèle, du droit du travail – va de pair avec les attaques contre les retraites, la sécurité sociale et les services publics. Il s’agit d’une véritable mise à sac des acquis sociaux obtenus à la Libération grâce au rapport de force favorable au mouvement ouvrier.

Le processus de précarisation des contrats de travail, le chômage de masse, la litanie des licenciements et des délocalisations exercent aujourd’hui une pression constante sur les salarié(e)s mis(e)s en concurrence à trois niveaux géographiques : à l’échelle nationale, européenne et mondiale. La mondialisation des échanges s’effectue au prix d’une déréglementation accentuée du marché du travail et d’une sous-tarification des transports de marchandises, secteur-clef du capitalisme mondialisé et laboratoire de la déréglementation. En ce sens, la victoire des dockers européens contre le « Bolkestein portuaire » en janvier 2006 et le puissant mouvement de la jeunesse contre la LEC et le CPE devraient constituer une bouffée d’air pour la lutte de classes, au regard de l’accumulation de défaites et de la carence des organisations ouvrières.

En effet, depuis le cycle ouvert en novembre-décembre 1995, des luttes emblématiques contre les licenciements, qualifiés dans la novlangue libérale de « plans sociaux », ont rythmé l’actualité sociale sans réussir à freiner la litanie des restructurations dévastatrices : Renault Vilvorde en 1997, Michelin en 1999, Cellatex en 2000, Lu/Danone en 2001, la manifestation du 9 juin 2001, ST Microelectronics, Daewoo et Metaleurop en 2003, PSA Ryton en 2006…

Mais les plans de licenciements constituent l’arbre qui cache la forêt, puisque plus de 80% des licenciements sont des licenciements individuels, touchant donc des salari(e)s du privé relativement isolé(e)s et totalement soumis(e)s à l’arbitraire patronal. De l’avis même de la direction de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), « depuis la disparition en 1986 de l’autorisation administrative de licenciement économique, il n’existe plus de source exhaustive de suivi des licenciements économiques ». Ainsi, si, officiellement, il y avait plus de 179 000 licenciements en 2004, en réalité ils étaient estimés à plus de 400 000.

1. Face aux licenciements, quels axes revendicatifs ?

Face à ces attaques continues, trois principaux types de réponses politiques et syndicales ont émergé :
– la revendication d’une « loi pour interdire les licenciements dans les entreprises qui font du profit » portée par un arc d’organisations politiques allant d’une partie de la gauche institutionnelle à l’extrême gauche ;
– le projet de « sécurité sociale professionnelle », sorte de « super assurance-chômage », élaboré par la CGT ;
– les réflexions de militants syndicaux organisés autour du collectif Résistance 2004 qui mettent en avant 1/ la possibilité pour les travailleur(se)s de contester un plan de licenciement avant son application, 2/ le droit de regard sur les subventions publiques aux entreprises, 3/ le droit au salaire comme un droit imprescriptible.

Nous devons mettre en œuvre notre appareil critique pour mettre en perspective les éléments revendicatifs permettant de lancer une nouvelle dynamique de luttes. Une des principales limites demeure l’absence de débat syndical dans les structures militantes.

1.1 La revendication d’une « loi pour interdire les licenciements dans les entreprises qui font du profit »

Cette revendication a l’apparence d’un slogan mobilisateur, mais elle présente des limites évidentes : elle s’en remet à l’État et à la loi, alors que même l’autorisation administrative de licenciement abrogée par la droite en 1986 a, dans les faits, à peine freiné les licenciements, et que les avancées législatives ne sont obtenues que par le rapport de force ; elle se limiterait aux seules entreprises qui font des profits en accordant par contrecoup une sorte de légitimité aux autres. En bref, une loi sur l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font du profit comme simple mot d’ordre ne résout rien en terme de réponse mobilisatrice.

1.2 Le projet de « sécurité sociale professionnelle »

Adoptée par la CGT en 2003, cette réponse d’ensemble aux licenciements et au chômage a l’avantage apparent d’embrasser tous les cas de figures possibles, des licenciements collectifs aux licenciements individuels et de garantir un ensemble de droits individuels (ancienneté, formation…), transférables d’une entreprise à une autre et même en période de non emploi. Mais outre qu’elle accompagnerait la fin des CDI comme norme rendue obsolète par la classe dirigeante, elle resterait de fait inopérante dans les luttes contre les licenciements, qui appellent des réponses immédiates et pas des projets de réforme à moyen terme. Pour finir, son contenu flou prête le flanc à la récupération par des propositions patronales ou gouvernementales comme le contrat de transition professionnelle (CTP) inventé par Villepin en 2006.

1.3 La plateforme du collectif Résistance 2004

Cette plateforme a le mérite de s’appuyer sur un véritable collectif de militant(e)s syndicaux nourri(e)s de leurs expériences de luttes (Thomson et ST Micro).

Le premier axe revendicatif développe la revendication du droit de veto des travailleurs(se)s au comité d’entreprise, promesse d’ailleurs d’un certain candidat Mitterrand avant son élection en 1981. Mais si ce droit pourrait réduire le nombre de licenciements et poser la question de la redistribution des richesses, il ne pourrait pas tous les empêcher.
Le second axe est important dans la mesure où il pointe le détournement de fonds publics colossaux au profit des entreprises et exige le remboursement des aides de la part des entreprises en cas de non-respect des conventions.

Le troisième axe garantit le droit au travail et affirme l’attribution du salaire comme un droit imprescriptible, dont le financement serait à la seule charge du patronat grâce à un fond patronal obligatoire. L’idée de responsabilité collective patronale est une idée qu’il faut développer sous l’angle de la mutualisation.

2. Plusieurs pistes pour s’opposer aux licenciements et aux délocalisations

C’est dans les luttes qu’on porte le mieux les revendications. Et c’est l’opposition aux licenciements collectifs (Renault, Michelin, Danone, Marks & Spencer, Cellatex…) qui, ces dix dernières années, a polarisé et cristallisé les débats sur les licenciements et les délocalisations, et les moyens de s’y opposer.

Plutôt que simplement s’en remettre à une formule incantatoire (« interdiction des licenciements ») ou exclusivement l’appel abstrait à une réforme (« Sécurité sociale professionnelle »), nous estimons que c’est une batterie d’idées et de revendications qu’il faut mettre en débat et faire vivre dans les luttes. Et l’expérience des luttes de ces dernières années, en France comme à l’international, donne plusieurs pistes d’actions et de revendications dans une perspective de rupture avec le système capitaliste.

2.1 Organiser les travailleurs

Toutes les expériences le démontrent, il ne faut en aucun cas céder aux chantages patronaux sur les salaires et le temps de travail qui laissent la porte ouverte aux restructurations en cascade. Le cadre syndical lutte de classe est essentiel pour organiser les travailleur(se)s contre le terrorisme patronal au niveau de leur branche, de leur bassin d’emploi mais aussi à l’échelle internationale en se solidarisant avec les luttes des travailleur(se)s des pays de l’Est et du Sud, ces derniers se prolétarisant à grande échelle, dans un processus inverse des pays du Nord anciennement industrialisés.

2.2 Développer les réseaux de solidarité

Développer la solidarité est également une des conditions essentielles pour ne pas s’isoler. Solidarité entre boîtes confrontées à des plans de licenciements, solidarité avec la population locale et au-delà, solidarité internationale avec les autres unités dans les entreprises multinationales. L’impulsion de collectifs de soutien locaux associant la population locale à la lutte est le meilleur moyen de porter la question sur la place publique et de faire, d’un sujet concernant une entreprise particulière, un sujet concernant toute la société, comme ce fut le cas avec Lu-Danone et la dynamique du boycott, autour de Levi’s (Lille), d’ACT Manufacturing (Angers) ou de ST Microelectronics (Rennes) qui a donné naissance au collectif Résistance 2004.

2.3 Revendiquer la mutualisation des responsabilités patronales

C’est une idée qui rejoint le projet de « Sécurité sociale professionnelle » et la plate-forme de Résistance 2004. Elle exige une mutualisation de la responsabilité patronale dans la gestion de la main d’œuvre. L’idée est de créer une garantie interprofessionnelle, dans laquelle les droits seraient attachés à la personne salariée et non plus à l’entreprise pour laquelle elle travaille. Tous les droits acquis (ancienneté, formation…) seraient transférables d’une entreprise à l’autre. En termes de salaire, de carrière, de formation, chaque salarié disposerait de droits cumulés dont chaque nouvel employeur devrait tenir compte. Ce système devrait tenir compte de la situation personnelle des individus dans les processus économiques, à savoir : respect de la proximité entre le lieu de travail et le lieu de vie ; respect de la structure sociale (familles, amis) de l’individu dans la localisation géographique de son lieu de travail ; prise en compte de la situation sociale dans la détermination des horaires de travail.
Cette idée s’inscrit dans une logique de protection sociale similaire à celle des retraites, de l’assurance-maladie ou du salaire social pour les jeunes travailleur(se)s en formation. Cette revendication ne peut qu’être transitoire.

2.4 Pour le développement d’expériences autogestionnaires

À plusieurs reprises lors d’occupations d’usines s’est posée la question de la possession de l’outil de travail, comme « trésor de guerre » et moyen de pression sur le patronat et les actionnaires quand un site est menacé de fermeture (Cellatex) et de délocalisation (ST Microelectronics). À ces occasions, on a vu l’amorce d’un débat sur la réappropriation de l’outil de travail et la gestion directe de la production par les travailleurs(se)s.

De cette question autour de la redistribution des richesses et du pouvoir découle logiquement celle de l’expropriation du patron et de la réquisition des entreprises par l’action directe – question devenue taboue dans les confédérations syndicales – et, par conséquent de la remise en route des entreprises sous le contrôle direct des travailleur(se)s.

Il serait absurde de faire croire que chaque entreprise menacée de fermeture ou de délocalisation pourrait faire l’objet d’une réquisition/autogestion. Mais dans certains cas, avec un large soutien de la population, ce peut être pour les travailleur(se)s un moyen de lutte exceptionnel. Il s’agit d’une pratique qui n’est pas rare pour les syndicalistes guadeloupéens, et l’exemple argentin prouve qu’il est possible d’aller plus loin que les formes traditionnelles d’action.

2.5 Articuler toujours les luttes d’aujourd’hui et la société de demain

La rupture avec le capitalisme ne saurait cependant venir de quelques expériences d’entreprises récupérées et autogérées. Isolées, elles courent le risque d’être plus ou moins étouffées par la puissance du système concurrentiel instauré par le marché capitaliste. En effet ces « îlots autogérés » devraient faire face à un État et un patronat qui n’accepteront jamais un modèle alternatif au capitalisme. Pour avoir un sens, ces expériences doivent rester liées avec les luttes en entreprises et les mouvements sociaux. Elles doivent aussi nourrir – et se nourrir – d’un projet de transformation sociale qui ne peut être que le socialisme autogestionnaire. Voilà enfin de quoi donner du contenu au slogan « Un autre monde est possible » !

C’est pourquoi nous restons particulièrement attentifs, en conservant un regard critique, aux expériences de récupérations d’entreprises qui se sont multipliées ces dernières années en Argentine, au Brésil, en Guadeloupe, comme réponse à la fermeture définitive d’entreprises et à la mise à la rue de la totalité du personnel.

Enfin, dans les pays où se délocalise à grande échelle la production, comme en Chine ou récemment au Bangladesh, se déroulent également des mouvements sociaux d’une autre nature de la part de populations récemment prolétarisées mais qui soulignent l’émergence d’un sentiment de classe face à la brutalité des rapports d’exploitation. Nous devons prêter également attention à ces mouvements et contribuer à l’acquisition de nouveaux droits sociaux pour les exploité(e)s.

Si nous voulons que dans les luttes à venir les travailleur(se)s aillent plus loin et s’en prennent directement au droit de propriété des classes possédantes, il faut proposer de telles perspectives autogestionnaires. Car la boussole reste bien pour nous celle d’une rupture globale avec le capitalisme qui passe par l’expropriation, la redistribution et l’autogestion généralisée des richesses.

 
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