Etats-Unis : Qui sème la misère...




Aux États-Unis, les profits record donnent l’impression d’une invulnérabilité des marchés. Mais ce système mortifère ne survit qu’au prix de destructions croissantes humaines, sociales et écologiques. Le Wisconsin vient toutefois de connaître une mobilisation de grande ampleur, marquant le retour massif des exploité-e-s sur le devant de la scène.

« Le capitalisme touche à sa fin », annonçait Immanuel Wallerstein dans Le Monde du 11 octobre 2008. Le 16 mars 2011, Paul Jorion publie « Le capitalisme à l’agonie ». L’affaissement des finances approche du point de rupture. La dette fédérale n’est désormais soutenue qu’au prix d’acrobaties financières qui n’ont pour effet que de retarder la chute de l’économie étatsunienne. Celle-ci est en effet plombée par plusieurs décennies de néolibéralisme accompagnées d’un aventurisme guerrier qui a profité pleinement à l’énorme complexe militaro-industriel.

Depuis maintenant trente ans, dès le premier mandat de Reagan, la classe dominante s’est lancée dans une politique résumée ainsi par le nouveau président : « l’État n’est pas la solution à nos problèmes ; l’État est le problème ». La suite a démontré que l’État était surtout un problème pour le maintien des dépenses sociales, mais un outil essentiel pour le financement des grandes industries. Le problème actuel vient de l’effet de ciseau opéré dans la politique budgétaire du pays, marquée par un accroissement constant des dépenses militaires et une baisse simultanée des impôts des entreprises et des particuliers les plus riches. L’envol de la dette fédérale dès le début des années 1980 et son explosion lors des deux mandats de George W. Bush n’ont pas d’autre explication.

Un système au bord de la désintégration

Un avant-goût de la future implosion a été donné par la crise du secteur immobilier, ouverte par l’effondrement du marché des subprimes, et dont la stabilisation est actuellement hors de portée, minant un peu plus chaque jour un secteur bancaire dont la santé apparente n’est due qu’à l’injection massive de fonds publics qui lui ont permis de repartir de plus belle dans une spéculation effrénée... jusqu’à la prochaine débâcle.

Le résultat est à la hauteur de l’absurdité conceptuelle du projet qui, s’il a bien abouti à l’enrichissement obscène de la bourgeoisie américaine, est parvenu à ses fins au prix d’un effondrement probable de l’hégémonie étatsunienne, le pays étant aujourd’hui un empire dont les dépenses militaires sont financées à crédit par ses créanciers du Golfe persique, du Japon et de Chine.

Pour donner une idée du délabrement extrême du système financier américain, il faut signaler qu’au moins trois États – la Virginie, la Caroline du Sud et l’Utah – élaborent actuellement des dispositions législatives envisageant la mise en place de monnaies locales en prévision de l’effondrement de la Banque centrale américaine.

Une véritable crise sociale

« C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches ». La situation sociale aux États-Unis vérifie de la pire façon cette phrase de Victor Hugo. On peut à bon droit parler d’enrichissement obscène de la classe dominante quant on comprend par quelle violence sociale cette richesse a été obtenue.

En 2010, 59 millions de personnes se sont retrouvées sans assurance maladie sur une population de 308 millions d’habitants. La plongée dans la grande pauvreté se manifeste également par le fait que de 1979 à 2011, le nombre d’habitants survivant grâce aux bons alimentaires est passé d’environ 17 à 43 millions, soit un accroissement de plus de 150 %. L’aspect de régions entières rappelle de plus en plus celui de la Grande Dépression : quartiers entiers abandonnés par leurs locataires ou leurs propriétaires expulsés de leurs logements, villes industrielles délabrées rappelant le tiers-monde, multiplication des villages de tentes, caravanes ou mobile-homes.

Les économistes Emmanuel Saez et Thomas Piketty ont établi un graphique représentant la part du revenu national perçu par les 0,01 % des plus riches
Étatsuniens. Ce taux est monté à un pic de 5 % en 1928, soit la veille de la crise des années30, puis a fluctué autour de 1 % de 1943 à 1978, avant de reprendre son ascension pour atteindre 6 % en 2007. L’écart dans la distribution des revenus est donc aujourd’hui plus aigu qu’à la veille de 1929.

Résurgence de la consciencede classe

La droite étatsunienne a-t-elle livré la bataille de trop ? Quoi qu’il en soit, les États-Unis viennent de connaître une mobilisation sociale comme ils n’en avaient pas vu depuis bien longtemps.

Le 12 mars 2011, ce sont 185 000 manifestantes et manifestants qui ont submergé la place du Capitole de Madison, dans le Wisconsin, lors d’une des plus grandes manifestations qu’ait jamais connu le pays en dehors de Washington. La protestation était dirigée contre la décision du nouveau gouverneur républicain, Scott Walker, de remettre en cause les conventions collectives des fonctionnaires de l’État, leur droit de mener des négociations collectives et le montant de leurs pensions de retraite, le maintien de celles-ci exigeant des baisses de salaire de 8 à 20 %.

Cet affrontement est la conséquence de l’offensive mise en place par les républicains depuis leur victoire aux élections de mi-mandat de novembre 2010, obtenue avec l’appui des Tea Party, rassemblement réactionnaire de libertariens, militants « pro-vie » et évangélistes qui a connu son essor au moment des mobilisations de la droite américaine contre la réforme de la santé promue par Obama.

Unité des luttes sociales

Scott Walker a parcouru le Wisconsin avant la présentation du projet de loi en essayant de dresser les salarié-e-s du privé contre les fonctionnaires, décrivant ceux-ci comme des privilégiés refusant les sacrifices auxquels les autres avaient été contraints par la crise. Sauf que cette argumentation s’est transformée en boomerang.

Les manifestations des fonctionnaires ont progressivement été rejointes par des salarié-e-s du secteur privé, des pompiers, des petits fermiers et même des policiers censés refouler les protestataires. Les révélations sur les rémunérations que s’octroient les financiers après avoir vu leurs banques renflouées par les deniers publics ont fait ré-émerger une conscience de classe qui ne s’était pas manifestée depuis longtemps : l’ennemi n’est plus le fonctionnaire qui a su préserver ses acquis sociaux mais les frères Koch, milliardaires ayant financé la campagne du nouveau gouverneur.

Pour conclure provisoirement sur le réveil du prolétariat américain, soulignons que les manifestantes et manifestants scandaient « Hosni Walker dehors », montrant de la sorte l’unité des luttes sociales qui ont parcouru massivement l’Europe en 2010 et qui atteignent les USA aujourd’hui, avec le cycle de révolutions qui vient de s’ouvrir dans le monde arabe.

Jean Marc (AL Paris Nord-Est)

 
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