Groupe Louvre Hôtels : unité dans la grève, unité dans la victoire




En grève illimitée depuis le 20 mars, les salarié-e-s des hôtels Première Classe et Campanile du pont de Suresnes (92) ont fini par faire céder leur direction. de leur côté, les gouvernantes et femmes de chambre de la société Deca France et les salarié-e-s de Louvre hôtels ont su mener leur lutte à la victoire.

L’ambiance était à la fête lundi 14 mai, dans l’école de Suresnes où les salarié-e-s des deux hôtels du groupe Louvre hôtels (Première classe et Campanile) avaient donné rendez-vous à leurs soutiens au lendemain de leur victoire. Il faut dire que leur lutte fut exemplaire à tout point de vue. Vingt-huit jours de grève sans interruption, ni reprise individuelle du travail. Une unité syndicale sans faille, des journées passées sur le piquet de grève, une solidarité à toute épreuve, l’organisation d’une popularisation efficace. Et au bout, un bon nombre de revendications qui aboutissent.

Solidarité à toute épreuve

Les choses n’étaient pourtant pas gagnées d’avance. Comme souvent dans le secteur du nettoyage – qui concerne une bonne partie des grévistes –, on a affaire ici à un montage financier qui permet, par le biais de la sous-traitance, de réduire les droits des travailleurs et travailleuses, et surtout de pousser à la division. Louvre hôtels – le donneur d’ordre, 2e groupe hôtelier en France – et Deca France – la société sous-traitante, qui emploie une bonne partie des femmes de chambre et gouvernantes des hôtels – n’ont cessé de se renvoyer la balle, pratiquant ainsi le sport préféré des patrons en matière de sous-traitance.

Pari perdu, les salarié-e-s ne s’y sont pas trompé, et comme le dit Daba, gouvernante employée par Deca France : « On était ensemble, du début à la fin, tenir 28 jours de grève c’est pas facile, mais on était toujours là du début à la fin. » Raphael Ngoua, le délégué CGT de Louvre hôtels, l’explique : « C’est la quadrature du cercle : chaque partie se rejette la responsabilité de la condition des femmes de chambre. On subissait des menaces, des pressions pour reprendre le travail. Mais face à la détermination des femmes de chambre qui sont restées soudées, ils ont été obligés de céder. »

Preuve s’il en fallait encore que quand la solidarité ouvrière est solide, le patronat n’a guère d’autre choix que de reculer. Mieux : tout le monde y gagne, puisque les salarié-e-s de Louvre hôtels, qui ont toujours refusé de reprendre le travail tant que leurs collègues de la sous-traitance n’auraient pas obtenu satisfaction, ont elles et eux aussi pu obtenir des avancées.

Aucune retenue sur salaire

Mais alors qu’ont gagné les travailleurs et travailleuses en définitive ? Pour commencer, le préalable à toute négociation : le paiement des jours de grève. Aucune retenue sur salaire, 50 % des heures seront récupérées, mais éviter les baisses de salaire était la chose essentielle. Pour les femmes de chambre et les gouvernantes de Deca France, une des principales revendications était la fin du travail à la tâche. La direction a donc fini par accepter de payer chaque salariée à l’heure effectuée, en mettant en place un système de pointeuse.

Étienne Deschamps, qui a suivi le dossier pour la CNT Nettoyage, explique : « Je sais bien ce que je pense des pointeuses, le mouvement syndical s’est battu contre les pointeuses, mais indéniablement c’est un progrès. Ça constitue dans l’hôtellerie une véritable avancée par rapport à l’archaïsme du paiement à la tâche ». En outre, les cadences indicatives ont diminué de 25 %, ce qui est bien sûr un progrès considérable.

Les revendications comprenaient également des revalorisations de salaires, ou encore des augmentations des mensualisations garanties. Qu’il s’agisse de Louvre hôtels ou de Deca France, là encore des avancées sont obtenues, un certain nombre de salarié-e-s en temps partiel passent à plein temps ou obtiennent une augmentation de leur mensualisation garantie.

Certains enjeux, qui peuvent paraître plus dérisoires, se sont néanmoins trouvés au cœur des revendications, comme par exemple l’obtention d’une prime d’habillement pour les salarié-e-s de la société sous-traitante.

Daba garde quand même un regret, celui de ne pas avoir pu supprimer la sous-traitance : « On aurait souhaité être embauché par l’hôtel, comme ça on aurait bénéficié des mêmes choses que les autres. Malheureusement on a pas été intégrés à l’hôtel, mais bon, on a obtenu quelque chose qui est un peu mieux que ce qu’on avait avant. »

Sur ce point, le combat n’est d’ailleurs pas fini, et Étienne Deschamps rappelle que « des procédures prud’homales sont toujours en cours, et cela nous permet de faire pression et de réclamer une égalité de traitement, en tirant toute la sous-traitance vers le haut ». Ces procédures mettent en cause notamment le donneur d’ordres, Louvre hôtels, pour délit de marchandage : usage d’une société sous-traitante pour échapper à des obligations conventionnelles ou légales.

Profiter du contexte

Si cette lutte a pu être gagnante à l’arrivée, c’est aussi grâce à l’unité sans faille des deux syndicats présents (CGT Hôtellerie et CNT Nettoyage). Du début à la fin, les deux organisations auront travaillé main dans la main, sans querelles de chapelles. Sur les piquets, on pouvait voir des grévistes cumulant les deux badges, et même les questions de syndicalisation se sont réglées avec un seul objectif : rassembler les salarié-e-s quelque soit leur entreprise de rattachement et leur faire construire une représentation commune. Et aux prochaines élections du Comité hygiène sécurité (CHS), on trouve sur la liste CGT la candidature d’une personne de la CNT travaillant à Deca France.

Bien évidemment, c’est aussi un contexte favorable qui a permis le déroulement des choses. À la veille de l’élection présidentielle, et forts du soutien actif de nombreuses organisations politiques et syndicales locales, les grévistes ont pu faire pression sur le ministère du Travail de manière importante.

Des droits et du respect !

La grève, si elle a servi à obtenir satisfaction sur des revendications précises, a également eu une autre utilité : celle de rendre visible des travailleurs et travailleuses trop souvent oubliées. « Cela faisait longtemps qu’on essayait de faire valoir nos droits, faire savoir qui on est et respecter ce qu’on fait. Personne ne nous entendait, personne ne faisait attention à nous. On en avait marre de tout ça, on s’est levé pour faire valoir nos droits », explique Daba, démontrant l’importance de cette aspect des choses.

Reste aujourd’hui une dernière question : comment utiliser cette victoire pour généraliser la lutte dans le reste du secteur,à commencer par les autres hôtels du groupe. La chose n’est pas simple, et les réseaux syndicaux y ont un rôle essentiel à jouer, en diffusant les informations dans des entreprises où l’action syndicale, et notamment la grève, suscitent encore trop souvent la peur des salarié-e-s.

Seznec (AL 93) et François Dalemer (AL Paris Sud)

 
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