Israël-Liban : Géopolitique du conflit




Alors que la FINUL vient de déployer ses troupes dans le Liban Sud, il est nécessaire d’analyser rigoureusement les conséquences politiques de la guerre coloniale menée par l’État d’Israêl au Liban à l’échelle de la région.

L’attaque du Liban par Israël n’est pas seulement un épisode de plus dans l’interminable conflit qui oppose Israël aux Palestinien-ne-s et aux pays arabes. Elle s’inscrit également dans le cadre du projet de Grand Moyen Orient dont l’objectif est le contrôle par les États-Unis de la région et de ses richesses pétrolières. Après l’Irak, cela passe par la mise au pas ou la destruction du régime clérical iranien, du régime baasiste syrien, de la résistance palestinienne et de la résistance libanaise, au sein de laquelle le Hezbollah est dominant.

Le journaliste bien informé Seymour Hersh apporte, dans The New Yorker du 21 août, quelques éclaircissements sur les causes et les buts de la guerre. Pour les “ faucons ” de Tel Aviv et de Washington, le Parti de dieu libanais n’est rien de plus que le “ front occidental iranien ”, c’est donc un obstacle à éliminer surtout dans la perspective, que nombre d’entre eux partagent, d’une attaque contre l’Iran avant la fin du mandat de Georges Bush. Aussi, l’armée israélienne avait déjà dressé les plans d’une campagne de grande ampleur contre le Hezbollah, et la Maison Blanche avait donné son feu vert. Il ne restait plus qu’à attendre un prétexte pour déclencher l’opération. Il a été fourni le 12 juillet, par la capture de deux soldats israéliens par le Hezbollah.

Un échec pour l’État d’Israël

Le résultat provisoire de la guerre n’est pas à la hauteur des attentes de ses instigateurs israéliens et états-uniens, sans qu’on puisse pour autant parler d’une victoire du Hezbollah.

Pour Israël, le bilan de la guerre est cruel, si on ne peut pas parler de défaite il est clair que c’est un échec humiliant pour un pays qui n’avait connu jusqu’alors que des victoires. Au bout de 34 jours de guerre, le gouvernement Olmert n’a atteint aucun des buts officiels qu’il s’était fixé. Il n’a pas réussi à libérer les deux soldats qui ont servi de prétexte à l’opération “ pluie d’été ” et il devra négocier pour les récupérer. Il n’a pas détruit les capacités militaires de l’adversaire et il n’a même pas pu empêcher les tirs de roquettes sur le Nord d’Israël.

C’est d’abord la faillite d’une doctrine militaire qu’Israël a emprunté aux États-Unis. L’état-major pensait écraser son ennemi en quelques jours, au moyen d’une intense attaque aérienne combinée avec des opérations limitées au sol, menées par des troupes d’élite. L’application de cette doctrine en Afghanistan a montré ses limites, efficace dans un premier temps pour renverser le régime en place, à long terme elle est incapable de combattre efficacement des groupes armés qui bénéficient de soutien dans la population locale. Au Liban, sa faillite a été encore plus rapide, car il ne s’agissait pas de renverser le régime en place mais de détruire les capacités opérationnelles d’un groupe de guérilla. Un objectif qui ne peut être atteint qu’avec une présence au sol massive et au prix de longues années d’occupation et de combats.

Ensuite, c’est la faillite de la stratégie du choc et de l’effroi, au moyen de bombardements massifs contre les civils. En ciblant les infrastructures, les usines, des zones d’habitation, l’état-major israélien cherchait à semer la terreur chez les Chiites pour qu’ils attribuent au Hezbollah la cause de leurs malheurs et qu’ils s’éloignent de lui, à provoquer la haine du Hezbollah au sein des autres communautés libanaises, en prenant consciemment le risque de déclencher une nouvelle guerre civile. En montrant sa puissance et sa cruauté, il espérait installer à Beyrouth un gouvernement terrorisé et soumis. Il est arrivé au résultat inverse, plus que jamais les Chiites sont derrière le Hezbollah, les Libanais(e)s toutes tendances confondues attribuent leur malheur à la politique hégémonique et guerrière d’Israël et pour le moment la côte de popularité du Hezbollah semble plus importante qu’avant la guerre et l’expression de divergence avec le Hezbollah est encore plus difficile. Alors qu’en Israël, la conduite de la guerre et son manque de résultats ont fait plonger la côte de popularité du gouvernement et de l’état-major, ouvrant une crise politique dans le pays.

Un bilan mitigé pour le Hezbollah

Si le Hezbollah a été surpris par la démesure de la riposte israélienne, il a montré avec succès qu’il se préparait depuis longtemps à une telle éventualité et ce sont finalement Israël et ses amis qui ont été surpris par sa résistance. Il n’a pas seulement évité l’anéantissement, il a réussi à porter des coups durs, en détruisant par exemple une cinquantaine de chars d’assauts israéliens, sans jamais pour autant mettre en danger l’ennemi. Il n’en faut pas plus pour que la popularité du parti chiite et de son leader soit au plus haut dans un mode arabe traumatisé par des décennies de défaites.

On ne peut pas pour autant parler de victoire, comme le montre l’écart entre les objectifs de l’opération du 12 juillet et la situation au sortir de la guerre. La capture de deux soldats israéliens devait avant tout servir à un échange avec des prisonniers libanais emprisonnés en Israël. Les négociations sont en cours et le Hezbollah devrait atteindre son objectif, mais il n’y a pas de quoi pavoiser tant le prix payé par les Libanais-e-s est lourd. D’autre part, le Hezbollah désirait montrer sa solidarité avec les Palestinien-ne-s abandonné-e-s par à peu près tout le monde. En organisant cette opération, il espérait desserrer l’étau autour de la bande de Gaza et du Hamas, en attirant une partie des forces armées israélienne à la frontière libanaise. Il est arrivé au résultat inverse, non seulement les opérations militaires israéliennes se sont poursuivies, mais l’attention de la “ communauté internationale ” c’est focalisée sur le Liban trouvant là une bonne excuse pour laisser les mains libres à Israël dans les Territoires occupés.

Si le Hezbollah a remporté une victoire, c’est sur le front de la propagande et de l’image. La guerre a discrédité celles et ceux qui définissent ce mouvement comme un groupe terroriste manipulé par ses maîtres iraniens et syriens. S’il est clair que l’Iran et la Syrie lui ont apporté un soutien décisif, en particulier d’ordre militaire, il est encore plus clair que le Hezbollah est la force dominante parmi celles qui ont résisté à l’offensive israélienne. On n’a pas vu l’ombre d’une preuve de la présence des centaines de soldats et conseillers militaires iraniens censés épauler le Hezbollah, en revanche on a constaté qu’il combattait aux côtés d’autres tendances politiques libanaises. Le parti chiite Amal, le Parti du peuple sunnite de gauche et le Parti communiste libanais où militent des Libanais-e-s de toutes origines, ont eu eux aussi leur lot de morts et de blessés pendant les combats. Les accusations de terrorisme dont le Hezbollah est l’objet, ont été balayées, les kamikazes qui hantent l’imaginaire israélien n’étaient pas au rendez-vous.

A la place, les envahisseurs se sont trouvés confrontés à une guérilla insaisissable, constituée de paysans, d’artisans, d’instituteurs, bien armés, entraînés, motivés, rapidement mobilisables, combattant dans les zones où ils vivent et ils travaillent, encadrés par le Hezbollah et obéissant sans discussion à ses directives. Leur organisation militaire et leur combativité ont impressionné les soldats israéliens, obligés de reconnaître leur courage. Les faits sont accablants, l’armée de l’air israélienne a essentiellement bombardé des cibles civiles, quand le Hezbollah continuait ses lancements de missiles, par centaines, “ au jugé ”, sur le nord d’Israël. Et le bilan humain enfonce le clou, le Hezbollah a tué plus de soldats que de civils, tandis que l’armée israélienne a tué beaucoup plus de civils que de guérilleros. Pendant 34 jours le monde a assisté à la lutte inégale entre une guérilla et un État menant une guerre terroriste.

L’ONU à la remorque d’Israël et des États-Unis

Pourtant la “ communauté internationale ” a vu autre chose à travers les lunettes du rapport de force international, caractérisé par l’unilatéralisme de l’unique superpuissance de la planète. Constatant que l’offensive israélienne était de plus en plus contre-productive au regard des ambitions du départ, les États-Unis se sont résignés à accepter la fin des hostilités, à condition que la résolution de l’ONU soit favorable à Israël.
C’est pour cela, que la résolution 1701 est si déséquilibrée. Les 15 000 militaires de l’ONU se déploieront uniquement au Liban sud, alors que le bon sens et l’équité aurait exigé qu’elles instaurent une zone démilitarisée de superficie égale des deux côtés de la frontière. La résolution exige le désarmement du Hezbollah qui conteste la suprématie du camp occidental et pas du fauteur de guerre. Mais elle aura d’abord permis d’arrêter les combats et les massacres de civils, évitant ainsi la catastrophe humanitaire qui se profilait à brève échéance. Ensuite son application sera dépendante du rapport de force sur le terrain et il est probable que le désarmement du Hezbollah reste un vœu pieux. La FINUL renforcée a déjà fait savoir que le désarmement n’était pas de sa compétence mais de celle de l’armée libanaise et cette dernière a annoncé qu’il n’en était pas question pour le moment. Au final, pour Israël c’est une guerre pour rien et pour le Liban c’est une guerre de plus, qui risque bien de le ramener vingt ans en arrière comme promis par Olmert.

Les épreuves de la population libanaise ne sont pas finies, elle doit faire face à la reconstruction du pays, à la volonté de revanche d’Israël, aux ingérences étrangères, aux divisions sectaires et à la lutte pour le pouvoir. Les deux coalitions qui s’affrontent, se sont consolidées à la suite de l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri en février 2005. Fondamentalement, rien ne les différencie, elles sont constituées de partis confessionnels qui ne remettent pas en cause le capitalisme, et qui ont tous été compromis, à des degrés divers, dans les massacres de populations pendant la guerre civile (avec une mention particulière pour les phalangistes, parti d’extrême droite et auteur des massacres de Sabra et Chatila). Elles se déclarent farouchement nationalistes et se proclament championnes de l’indépendance du pays, accusant le camp d’en face d’être vendu à l’étranger. La différence décisive réside dans les alliances internationales qu’elles ont nouées. D’un côté du ring, se trouve le camp du 14 mars dont les poids lourds sont le parti entreprise de la famille Hariri d’obédience sunnite, le Parti socialiste de Walid Joumblatt d’obédience druze et les Phalangistes. Ce qui cimente cette coalition hétéroclite, c’est d’une part le choix de l’alliance avec l’occident, en particuliers les États-Unis et la France, et avec les pétromonarchies sunnites, d’autres part le choix de l’Iran et de la Syrie comme ennemi de l’indépendance du pays. Elle s’appuie sur le ras-le-bol populaire de la tutelle syrienne qui a culminé dans une immense manifestation qui lui a donné son nom. De l’autre côté du ring, il y a le camp du 8 mars qui regroupe principalement le parti chiite islamique Hezbollah, le parti chiite Amal, la Troisième force, parti sunnite de l’ex-premier ministre Selim Hoss.

Ce camp a choisi de s’allier avec la Syrie et l’Iran et de considérer Israël et les États-Unis comme les vrais ennemis du pays. Il a passé des accords avec le mouvement chrétien du général Aoun, pourtant un opposant de longue date de la Syrie. Opposées par leurs options géopolitiques, les deux coalitions participent à un gouvernement d’union nationale dominé par les pro-occidentaux. Ce paysage politique ne donne pas beaucoup de raisons d’espérer une amélioration de la situation dans un futur proche, il n’est même pas tout à fait exclu que le pays replonge dans la guerre civile.

À la recherche d’une troisième voie progressiste

Néanmoins il existe des mouvements classés à gauche et à l’extrême gauche, traditionnellement laïques, même si le suivisme dune partie d’entre elles vis-à-vis du Hezbollah pose question. Leur travail n’est pas facile, les entraves au militantisme sont nombreuses, la vie politique est violente pouvant aller jusqu’à l’assassinat des gêneurs, et ces groupes sont divisés sur les choix tactiques. Nos camarades d’Al Badil ont fait le choix de militer à la base du mouvement populaire du 14 mars. Plusieurs caractéristiques de ce mouvement les ont poussé à cette position, c’est un mouvement de masse qui dépasse les frontières religieuses et qui exprime de façon latente une volonté de s’affranchir des féodalismes et des carcans moralistes. Ils tissent des liens avec une scission récente du PCL qui a fait le même choix. Mais un tel pari n’est-il pas périlleux quand le mouvement est instrumentalisé par un cartel d’organisations qui représente l’inverse de ces aspirations ?

Le reste de la gauche et de l’extrême gauche participe à la résistance militaire sans partager les positions politiques du Hezbollah. Les principales forces de ce courant sont le PCL qui a chèrement payé le prix de son opposition à Damas et qui refuse d’échanger une tutelle étrangère par une autre, c’est un des rares partis non communautaires, le Parti du peuple, nationaliste de gauche, et les organisations palestiniennes FDLP et FPLP. Mais ce courant n’arrive pas à concrétiser une troisième voie progressiste qui touche de larges secteurs de la société. L’alternative pourrait venir d’ailleurs, il existe quelques expériences intéressantes dans la perspective de la construction de contre-pouvoirs.

Pendant la guerre, l’association Samidoun a géré plusieurs centres d’accueil pour les réfugié-e-s qui affluaient par milliers à Beyrouth. Elle a été aidée par plusieurs associations, des organisations comme le PCL, le PP, le FPLP, et par des petits groupes affinitaires, anarchistes, autonomes et léninistes. Ce travail de solidarité concrète a permis d’héberger et d’assurer les besoins de 800 familles, sans passer par les réseaux clientélistes qui gangrènent le pays. L’initiative est modeste mais il faut souhaiter que cette petite réussite incite à développer d’autres initiatives permettant de réunir, sur des objectifs limités mais concret, des courants qui ont fait des choix tactiques différents. Car la question reste posée au Liban : comment faire avancer, dans la réalité, l’auto-organisation, la laïcité et l’égalité en dehors de petits cercles militants . Une telle initiative est malgré tout un début de réponse.

Hervé (AL Marseille)

 
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