AL Rail n°6 (novembre 2004)




Il y a eu une grande effervescence médiatique autour de l’accord signé le 28 octobre par la direction SNCF et six fédérations syndicales de cheminots (SUD-rail et FO n’ont pas signé). Que CFDT, UNSA, CFTC signent un texte sur lequel elles avaient donné leur accord avant même le début des négociations ne méritait pas tout ce bruit... L’évènement c’est la signature de cet accord par la fédération CGT.

Certes, le contenu de ce texte ne traduit pas une trahison définitive du mouvement ouvrier cheminot, même si des passages sont éloquents ! Il ne faut pas oublier qu’une grande partie de l’enjeu de sa signature portait sur le chantage exercé par la menace d’une loi clairement anti-grève, sauf si...

C’est là-dessus que la fédération CGT des cheminots s’est positionnée. Uniquement là-dessus, en témoigne le peu de débats internes dans les syndicats CGT qu’illustre le communiqué fédéral annonçant la signature « décidée par la Commission Exécutive de la fédération par 66 voix pour et 1 contre ».

Ce débat sur le lien entre la signature de l’accord et les projets de loi sur le service minimum a aussi existé dans la fédération SUD-rail, deuxième syndicat de l’entreprise. Et si la réponse n’a pas été la même, c’est en partie dû au temps que se sont donnés les syndicats SUD-rail pour en discuter. Refusant le diktat de la direction qui organisait la médiatique séance de signature sept jours après avoir remis la version finale du texte, les militant-e-s SUD-rail ont poursuivi le débat jusqu’à la mi-novembre.

Ce délai supplémentaire a permis de confirmer que jamais le gouvernement n’avait clairement annoncé que cet « accord historique » (expression du ministre des transports, largement reprise ensuite) le faisait renoncer à une loi plus restrictive encore. Quant à la majorité parlementaire, à peine le texte signé, elle repartait à l’assaut de plus belle ! Tout ceci se traduit par une nouvelle phase, au cours de laquelle ministère et direction entendent mener des « négociations » avec les fédérations syndicales sur la continuité du service public... en temps de grève seulement, bien sûr.

La fédération CGT a dit qu’elle n’entrerait pas dans cette logique de cogestion. Mais n’est-ce pas là le prolongement logique de cet accord « pour l’amélioration du dialogue social et la prévention des conflits ».

« Le recours à la grève constitue un échec du dialogue social ; c’est pourquoi les partenaires sociaux cherchent à réduire le nombre de conflits ».

Signer un accord reposant sur cet axiome, aurait été impensable pour la CGT il y a quelques années encore. Au-delà du texte c’est ce que cela traduit en terme de dérive vers le syndicalisme d’accompagnement social qui est le plus préoccupant.

AL-Rail n°6
Dialogue social

C’est bien une démarche politique qui se poursuit ainsi : quelques jours après cette signature à la SNCF, B. Thibaud déclarait tout de go (et après quelle consultation des syndicats CGT concernés ?) que la CGT est prête à signer un accord similaire dans les transports urbains.

Or, si on peut penser que la culture syndicale, le rapport de forces au sein de la SNCF pourront largement atténuer la portée de l’accord, il n’en est pas de même dans les transports urbains où le patronat de droit privé trouvera là un outil supplémentaire pour museler les collectifs et militant-e-s syndicaux pratiquant un syndicalisme offensif !
Prévention ou extension des conflits ?

Dans la suite de la manifestation nationale unitaire des travailleurs/ses du secteur ferroviaire, le 25 novembre, des perspectives d’actions plus fortes existent. Les fédérations syndicales doivent prendre leurs responsabilités et dire clairement qu’il faut construire une grève nationale rassemblant toutes les filières.

Si une dynamique est ainsi créée, portée par les équipes syndicales CGT et SUD-rail notamment, confirmée par les assemblées générales, il y a fort à parier que « la prévention des conflits » ne soit plus au coeur des discussion, mais plutôt « comment coordonner et étendre la lutte », perspective bien plus intéressante pour toutes celles et tous ceux qui se réclament du syndicalisme révolutionnaire, du syndicalisme qui veut organiser les travailleurs/ses pour à la fois améliorer leurs quotidien et tracer la voie vers une organisation différente de la société.

Extraits de l’accord

10 jours de concertation + 5 jours de préavis = quelle pratique syndicale ?

« ... les signataires conviennent-ils que la grève doit s’envisager comme un recours ultime, le préavis étant appelé à n’intervenir qu’au terme d’une période explicite de concertation, permettant une instruction plus approfondie du différend naissant, et donnant de meilleures chances à la conclusion d’un compromis. Il est donc institué une démarche de “concertation immédiate” par laquelle les organisations syndicales peuvent aviser la direction concernée d’un différend particulier, c’est à dire d’un problème clairement identifié, unique, susceptible de provoquer un conflit. Ce différend doit être explicité par écrit auprès de la direction par un représentant syndical ou un délégué syndical d’établissement désigné à cet effet. La direction peut prendre l’initiative de déclencher elle-même cette procédure, pour des sujets qu’elle considère comme potentiellement conflictuels. Dans le cadre de cette démarche, la concertation est alors ouverte lors d’une première réunion, au plus tard dans les trois jours ouvrables après la date de réception de la demande. Si nécessaire et pendant une période de dix jours ouvrables à compter de cette même date, d’autres réunions peuvent être programmées afin de finaliser la réponse au problème soulevé.

Les signataires conviennent de faire tous leurs efforts pour laisser les discussions se tenir au cours de cette période, afin de parvenir par la négociation à un accord et éviter ainsi le dépôt d’un préavis, voire une issue conflictuelle, caractéristique d’un échec du dialogue.

...si la conciliation échoue et si le mouvement de grève est de nature à perturber le trafic, il est indispensable de connaître suffisamment tôt le maintien du préavis de grève, afin d’organiser au mieux le service et d’en informer la clientèle. Dans cet esprit, un délai de prévenance de 24 heures sera recherché. »

Solidarité avec Fabrizio Acanfora !

Fabrizio est militant de la Federazione dei Comunisti Anarchici (FdCA), délégué syndical des cheminots de Gênes.

En juillet 2003 paraissait dans un journal national un article dans lequel Fabrizio expliquait les situations difficiles dans lesquelles les cheminots italiens travaillent aujourd’hui et les insuffisances en matière de sécurité. Pour cela, la direction de TRENITALIA l’avait sanctionné de 10 jours de mises à pied !

Le 25 novembre 2004, débutait le procès intenté par TRENITALIA contre Fabrizio. Revanchards, les patrons de TRENITALIA veulent que la « justice » impose les sanctions que la solidarité des travailleurs/ses les avaient obligés à abandonner.

En dénonçant publiquement les conditions dans lesquelles circulent les trains sur le réseau ferré italien, en expliquant les dangers pour la sécurité qu’entraînent les mesures de « rentabilité » et la privatisation du secteur, Fabrizio a juste dit la vérité.

Ce n’est pas le cas de celles et ceux qui le menacent de sanctions, le poursuivent devant les tribunaux : eux, mentent lorsqu’ils assurent que le chemin de fer livré aux appétits financiers de sociétés privés c’est la même chose qu’un chemin de fer au service du public, au service de la collectivité. La criminalisation des militant-e-s est un axe fort des politiques ultra-libérales qui dominent le monde capitaliste. La solidarité internationale des travailleurs/ses doit être notre réponse.

Le secteur « rail » d’Alternative Libertaire réitère son entier soutien à Fabrizio.

Pour une lutte internationale des cheminot-e-s

Dans toute l’Europe nous sommes confronté(e)s aux mêmes attaques. Il est grand temps d’organiser une grève internationale ! En France, la quasi-totalité des fédérations syndicales fait partie de la fédération des transports de la C.E.S. Celle-ci n’impulse aucune action revendicative, elle agit comme lobbying auprès des institutions européennes.

Ce n’est pas de cela dont nous avons besoin. Il faut que se développe un syndicalisme de lutte au plan international : Pour nous battre contre les privatisations, la déréglementation, mais aussi pour refuser que nos sociétés européennes de chemin de fer ne soient le "bras armé" du capitalisme dans les pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique du sud.

La « libéralisation » du trafic ferroviaire n’est pas un phénomène naturel, inéluctable. C’est un choix politique.

Parce qu’ils ne veulent pas que nous réfléchissions trop, ceux qui profitent des inégalités de notre société ont tendance à vouloir ériger en dogme ce qui n’est qu’un choix politique, dicté par des impératifs économiques à un moment donné.

C’est pour que le système capitaliste tourne mieux que l’Etat avait créé la S.N.C.F., en indemnisant grassement les actionnaires des anciens réseaux. C’est pour la même raison qu’aujourd’hui on veut nous imposer la privatisation, « l’ouverture à la concurrence ». Ce choix c’est celui qui mène à la multiplication des accidents, au non respect des règles de sécurité, à la remise en cause des acquis sociaux, etc.

Mais le capitalisme a besoin de ça pour survivre... tant pis pour celles et ceux qui en feront les frais !

Les « directives européennes » se succèdent : premier, deuxième et déjà troisième « paquet ferroviaire » sont approuvés par des députés européens qui dans leur immense majorité ne savent même pas de quoi ils parlent !

En France, les gouvernements successifs ont contribué à casser le service public : C’est Pons et Idrac qui ont créé RFF et c’est Gayssot qui lui a permis de ponctionner de plus en plus la SNCF en augmentant sans cesse les péages. C’est le gouvernement de droite qui a transposé dans la législation française le « premier paquet ferroviaire » et c’est sous la gauche qu’il fut décidé d’aller au-delà des premières directives en matière de séparation comptable infrastructure/exploitation.

La « régionalisation » sous la gauche a institutionnalisé la remise en cause de la péréquation tarifaire lancé sous la droite, mettant ainsi en évidence que « droit au transport pour tous » ou « aménagement harmonieux du territoire » sont des notions bien peu partagées par ceux qui veulent nous diriger.
Une autre voie est possible !

Le capitalisme pille la société, et gaspille ses richesses matérielles et humaines. Un autre monde est possible en inventant un autre système économique et politique, fondé sur la démocratie directe et l’autogestion. C’est dans nos luttes, par nos pratiques quotidiennes que nous le construirons.

Nous proposons de travailler à la construction d’un vaste Front social.

C’est à dire d’un vaste mouvement de mobilisation s’exprimant directement sur tous les lieux de vie, d’habitat, d’étude et de travail, et fédérant les luttes sociales. Un Front Social porteur d’exigences immédiates, comme la redistribution des richesses par un relèvement massif des minima sociaux et des salaires, une redistribution du travail, la réquisition de tous les logements vides, la régularisation de tous les sans papiers, l’égalité hommes/femmes... Un Front Social permettant également d’ouvrir le débat sur des transformations en profondeur de la société, y compris en ce qui concerne les Droits et les exigences d’une démocratie authentique.

Ce que nous nommons un « Front Social de l’Egalité et de la Solidarité » se construira sur la base des associations du mouvement social et des organisations syndicales, mais également en s’élargissant à des secteurs nouveaux de la population et de la jeunesse à travers des Assemblées ou des Forum de rue, de quartier, de commune, d’entreprises, ouverts aux individus.

Un « Front Social de l’Egalité et de la Solidarité », à la fois mouvement nouveau et fédération des mouvements existants ne se décrétera pas. Mais ses prémices existent déjà. Une partie des mouvements sociaux ont déjà tissé des liens réguliers dans de nombreuses localités, et se retrouvent ensemble mobilisation après mobilisation.

Vis à vis des partis et des mouvements politiques de la gauche et de l’extrême gauche, la relation doit être claire et faire rupture avec la relation traditionnelle de soumission, social-démocrate, stalinienne ou léniniste, qui a trop longtemps pesé sur le mouvement social et syndical, et qui a contribué à sa régression. Un tel Front social, s’il est ouvert à l’expression de tous, doit rester autonome vis à vis de quelque force politique que ce soit (y compris bien sûr libertaire).

Tel ou tel parti peut soutenir, mais non diriger ou participer en tant que tel à son organisation. La relation aux partis qui se présentent aux élections pour briguer les suffrages des électeurs et qui peuvent se retrouver, à tout niveau, dans des positions de pouvoir, ne peut être qu’une relation confrontative. C’est à dire une relation où les élus et les aspirants élus écoutent les exigences des mouvements sociaux, se prononcent sur elles, mais en aucun cas ne prétendent les dicter ou se les réapproprier.

Face à la politique répressive, ultra « libérale », anti-sociale du gouvernement l’heure est à l’affrontement, et les libertaires appellent à défendre la nécessité d’une grève générale des salariés. Grève générale de riposte et de transformation sociale, indissociable d’un mouvement où convergeraient toutes les formes de résistances contre toutes les formes de précarité, d’exclusions et de domination.

L’objectif d’une grève générale interprofessionnelle, sur ses revendications, doit être débattu. C’est un objectif fédérateur, il constitue la principale possibilité de stopper les politiques antisociales du MEDEF et du gouvernement, et c’est pour cette raison que ce débat aujourd’hui peut et doit être posé. C’est ainsi que ce nécessaire mouvement social sera possible et c’est cela que nous voulons : construire ce mouvement, le faire exister, pas seulement en faire un slogan sans lendemain !

 
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