La Martinique debout (3/4) : Pour une économie libérée du carcan colonial




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Sur la grève générale de février-mars 2009 en Martinique, procurez-vous le livre de Nemo, Matinik Doubout.


La grève générale a porté une critique de la dépendance vis-à-vis de la métropole. Comment produire et distribuer localement ? La question est ouverte.

Le mouvement ne pouvait être que « légaliste », dans une petite île où toute révolte peut être circonvenue dans un bain de sang enveloppé de silence. Et la critique du système capitaliste, qui a peu à peu émergé, a eu aussi ses limites.

Dans la situation de pénurie créée par le blocage et la fermeture des magasins de la grande distribution, on aurait souhaité que les syndicats s’emparent au moins de la nourriture des supermarchés ou des entrepôts du port, avant que, pour certains produits, elle ne soit périmée. On n’a pas osé le faire.

Cependant le slogan « asé pwofitasyon » reste porteur de sentiments et de perspectives.

Quelles que soient les faiblesses du mouvement, les acquis auront été considérables. D’une part le Collectif reste vigilant, même si au 35e jour de grève générale, il a accepté une pause dans le mouvement, compte tenu de tous les accords déjà signés. Il faut maintenant veiller à leur application effective et, compte tenu de la duplicité de certains patrons, la mobilisation doit être maintenue. Ainsi les revendications sur les minima sociaux, non acquises formellement, car nécessitant un vote parlementaire, sont l’objet d’une vigilance particulière. On reste sur le pied de guerre.

Des nouvelles perspectives

Les « politiques », quelles que soient leurs interventions, appelant sans cesse à la fin de la grève, se sont largement discrédités, et notamment Alfred Marie-Jeanne, leader indépendantiste, président du conseil régional, dont l’éclipse lors des derniers jours de négociations est passé inaperçue.

Remarquons, encore une fois, qu’une lutte prolétarienne de grande ampleur s’est construite institutionnels dits représentatifs. Il s’est agi d’un véritable mouvement insurrectionnel, pacifiste, responsable, qui fait écho à ce qui s’est passé en Grèce, puis en Irlande. Il a su obtenir le soutien des classes moyennes et des petits patrons, qu’il a intégrés sans renier son caractère de classe anticapitaliste. On parle d’un « pouvoir syndicaliste » en appelant à une réorganisation et à une unité capable de formuler des solutions concrètes. Comment ne pas évoquer ici le projet anarcho-syndicaliste de la CNT espagnole ?

Dans une île, on doit se considérer, plus qu’ailleurs peut-être, dans un jardin. Certes l’autarcie à l’époque des échanges internationaux ne peut être en elle-même une solution économique. Cependant, on aimerait bien produire localement, ce que le colonialisme nous a interdit de produire. Avoir de petites industries de biens de consommation et ne pas toujours dépendre, pour un boulon, de ce qui est fabriqué dans la métropole ou ailleurs.

Une agriculture « bio » pourrait aussi se développer. La réforme agraire de 1961 n’a jamais pu se réaliser à cause de l’opposition des békés. Si l’on pouvait mettre en culture vivrière des surfaces assez grandes, par le biais de coopératives, comme il en existe déjà, on arriverait non seulement à accroître la production locale, mais aussi à combattre plus efficacement les maladies qui touchent ici nombre d’arbres fruitiers et de légumes à cause de la pollution due à la monoculture coloniale [1].

Il pourrait sembler possible de fédérer ces énergies, même si pour l’instant elles sont insuffisantes pour subvenir à la totalité des besoins de l’île, se grouper en coopératives de producteurs fédérés à des coopératives de consommateurs, reprendre en mains, celles des travailleuses et des travailleurs, la grande distribution, échanger directement, sans l’intermédiaire des capitalistes…

Némo (Fort-de-France)

[1Lire « Les Antilles empoisonnées », AL de novembre 2007.

 
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