Travailleurs immigrés

Lire : De Staal, « Mamadou m’a dit »




Écrit suite au décès le 20 juin 2007, à l’âge de 59 ans, de Mamadou Konté, « le Mamadou » de la fameuse chanson de François Béranger, Mamadou m’a dit nous livre un passionnant récit de son engagement militant et de celui de toute une génération de travailleurs immigrés dans la France des années 1970. Sous le pseudonyme de Mathieu, il fit partie des premières figures militantes qui émergent des luttes des foyers de travailleurs immigrés africains parqués dans les foyers-taudis par l’administration française. Le livre part des premières luttes contre « le colonialisme à domicile » (dans les foyers) où sont remises en cause les hiérarchies sociales et claniques importées du village et évoque la lutte pour la construction d’un mouvement de travailleurs immigré pleinement intégré au mouvement ouvrier français et en phase avec la contestation sociale et culturelle de cette période.

L’ouvrage nous plonge en particulier dans une aventure militante singulière : celle de l’organisation politique Révolution Afrique, lancée par certaines et certains militants français de Révolution (scission « gauchiste » de la LCR en 1969) et par des travailleurs immigrés africains dont Mamadou fut le premier camarade à politiser son militantisme dans les foyers.

Ce qui importait aux militantes et aux militants qui se lancèrent dans ce projet politique, c’était que les ouvriers immigrés s’organisent eux-mêmes, qu’ils apprennent dans la lutte à s’émanciper de l’esprit colonial et des traditions tribales. Ce combat prendra diverses formes : cours d’alphabétisation, formations politiques, projections-débats dans les foyers sur différents thèmes, distributions de tracts dans les cinémas des quartiers immigrés de Paris...

Révolution Afrique deviendra par la suite l’Organisation des communistes africains et comptera jusqu’à 300 militants en région parisienne et sur Marseille, mais aussi dans la région rouennaise et nantaise. Elle mènera une stratégie de lutte internationaliste : lutte des immigrés dans la métropole, soutien et organisation de la lutte révolutionnaire dans les dictatures des ex-colonies françaises, à la botte de leurs anciens maîtres. Le reflux des luttes et la dépolitisation des débuts de l’ère Mitterrand débouchant entre autres sur l’engagement humanitaire porteront un coup fatal à une expérience restée malgré tout minoritaire, et ne recevant dans les faits qu’un soutien verbal de l’extrême gauche d’alors. Cette double tâche, peu égalée depuis, devrait interroger toutes et tous les militants révolutionnaires aujourd’hui dans les métropoles impérialistes. En effet, si les grèves des travailleurs et des travailleuses sans papiers ont permis de resituer le combat pour l’égalité des droits entre Français et immigrés sur le terrain de l’exploitation au travail, du chemin reste à faire pour resituer politiquement ces luttes dans une perspective clairement internationaliste et révolutionnaire.

Ermon (AL Lorient)

 Gilles de Staal, Mamadou m’a dit, Syllepse, 2008, 221 pages, 20 euros

 
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