Histoire

Lire : Guillamón, « Barricades à Barcelone 1936-1937 »




Un livre d’histoire doit faire réfléchir. C’est le cas avec cet ouvrage d’Agustín Guillamón paru en 2007 en Espagne, et traduit cette année par les éditions Spartacus. Guillamón publie depuis 1993 la revue Balance Bilan ») dans laquelle il propose un retour critique sur la Révolution espagnole. C’est avec une certaine rage qu’il en démolit les mythes et pose les questions qui fâchent.

Dans ce livre, il dénonce la stratégie – ou plutôt l’absence de stratégie – de la direction de la CNT-FAI durant la période cruciale qui va de l’insurrection victorieuse des journées de Juillet 1936 à l’insurrection piteuse de Mai 1937.

Il passe ainsi en revue plusieurs moments-clefs, sujets de controverse historique ou d’énigme irrésolue. Citons-en quelques-uns. Le 20 juillet, le président de la Généralité de Catalogne, Companys, a-t-il réellement « offert » aux dirigeants de la CNT-FAI sa démission, qu’ils auraient refusée ? Fallait-il différer la révolution sociale en attendant d’avoir repris Saragosse aux fascistes ? Une situation de double pouvoir entre le Comité central des milices antifascistes et l’Etat bourgeois a-t-elle existé ? La proposition de Garcia Oliver au plenum régional du 21 juillet de tenter « le tout pour le tout » (renverser le pouvoir d’Etat) était-elle sincère ? L’économie catalane a-t-elle été authentiquement socialisée, ou « syndicalisée » sous direction étatique ? Qu’a dit exactement Durruti dans son message radiophonique du 4 novembre 1936, quinze jours avant d’être tué ? Nombre de questions sont posées, et Agustín Guillamón a le courage de proposer des réponses. La démarche est des plus instructives pour les révolutionnaires contemporains, même si l’auteur donne parfois le sentiment de parler moins en historien qu’en militant passionné. Mais passionné, il y a de quoi l’être, et Guillamón ne manque pas de dénoncer la façon dont l’histoire de cette révolution a été falsifiée, par petites touches décisives.

Un exemple ? « Nous renonçons à tout sauf à la victoire. » Ce slogan est attribué à Durruti, le héros révolutionnaire par excellence. Il signifie concrètement que Durruti avait renoncé à la révolution sociale, au nom de l’unité antifasciste. Le problème, c’est qu’il a en fait été inventé par l’écrivain soviétique Ilya Ehrenburg. Et c’est la machine de propagande stalinienne qui, un an après sa mort, l’a attribué à Durruti, lui faisant dire le contraire de ce qu’il avait toujours défendu. Le livre, truffé de révélations de ce genre, s’achève par un long chapitre consacré aux Amigos de Durruti. Ce groupement contestataire au sein de la CNT-FAI, qui attira jusqu’à 5.000 adhérentes et adhérents, dénonça la « politique de trahison » de sa direction… sans parvenir à infléchir sa politique.

Guillaume Davranche (AL Paris-Sud)

  • Agustín Guillamón, Barricades à Barcelone 1936-1937, Spartacus, 2009, 220 p., 15 euros.
 
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