Lire : Rigouste, « L’ennemi intérieur »




La « doctrine de la guerre révolutionnaire » (DGR) élaborée à l’occasion des guerres coloniales dans les années 1950-1960, forme encore le corpus, non seulement de la pensée sécuritaire actuelle, mais aussi des méthodes plus que jamais en usage. Celles-ci étaient jadis employées en situation contre-insurrectionnelle : exceptions juridiques, déplacements des populations, contrôle statistique, manipulation des médias… Pour Mathieu Rigouste, la réponse aux « nouvelles menaces » (terrorisme islamique ou émeutes dans les quartiers) est sur le fond, l’extension des bonnes vieilles recettes militaires utilisées en Algérie.

Dans une langue nerveuse et enlevée, toujours très précis et passionné, l’auteur décrit les méthodes de la DGR conçues et expérimentées par l’armée française à une époque où elle faisait école dans le monde entier, notamment aux États-Unis. Il montre comment, après l’Algérie, elle est importée et adaptée en métropole pour faire face aux « pro-rouges » et autres agitateurs. La société étant par nature instable, il faut « protéger la population, l’amener à s’immuniser contre la subversion, et pour cela, restreindre ses droits ».

De « méthode » contre-subversive, la DGR va devenir une idéologie du contrôle fondée sur trois principes directeurs.

1. Protéger : ethniquement et socialement identifiable, doué
d’une psychologie différente du « bon » Français naturellement rationnel, mesuré, et ami de l’ordre, l’ennemi intérieur prend aujourd’hui encore les traits de « l’indigène-partisan » d’hier, entièrement tendu vers la subversion du pays qui l’accueille. L’immigré remplacera l’indigène insurgé comme menace à l’intégrité occidentale. Le 11 septembre 2001 en fera un terroriste en puissance.

2. Immuniser : par la manipulation de l’information et la propagande d’état continuelle, l’opinion est endormie, habituée à des mesures d’exception « reformulées » périodiquement pour devenir permanentes.

3. Restreindre ses droits : tous les gouvernements qui se succèdent depuis De Gaulle s’emploieront à définir et répondre à la menace intérieure : soviétique, identitaire, terroriste, anarcho-autonome… jusqu’au délit d’entrave à l’état d’exception qui nous frappe aujourd’hui – le délit de solidarité.

L’ouvrage, riche et très documenté, vient parfaitement compléter les réflexions de Laurent Bonelli (La France a peur, 2008), de Laurent Mucchielli (La frénésie sécuritaire, 2008) ou de la Ligue des droits de l’homme (Une société de surveillance ?, 2009). On trouvera dans L’Ennemi intérieur de quoi améliorer sa compréhension de l’origine de la violence d’état actuelle et des arguments pour enrichir sa pratique militante.

Cuervo (AL Paris nord-est)

  • Mathieu Rigouste, L’Ennemi intérieur, la généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine.
    La Découverte, 341 pages,
    22 euros.
 
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