Coordination nationale du 18 mai 2002

Motion de CF : Sur la situation créée par le « choc du 21 avril »




Un immense élan de mobilisation s’est exprimé en avril 2002. Il existe dans le pays une grande soif de perspective et d’engagement, et la volonté d’imposer au gouvernement et à la majorité issus des prochaines législatives, qu’ils soient de gauche ou de droite, un « troisième tour social ». Toutes celles et ceux qui partagent la perspective d’une transformation radicale de la société, et notamment les libertaires, doivent tirer très vite les leçons des événements récents, dégager ce qui se joue derrière ces événements, et proposer des axes d’élaboration et d’action adaptés aux enjeux du moment, à ses dangers, mais aussi à ses promesses.

1. Une profonde crise de représentativité

Les présidentielles d’avril 2002, avec la montée de l’extrême droite, ont permis de mettre en lumière une profonde crise de société. Au premier tour, le score sans précédent de l’abstention, des votes nuls et blancs, et des votes protestataires, ont été les signes manifestes de cette crise. Crise dont il importe de mettre en lumière les aspects essentiels et les causes profondes. Premier aspect : il s’agit d’une crise de représentativité. Crise des appareils politiques institutionnels, crise de la forme et du modèle du Parti. Et plus profondément, crise de légitimité des institutions dites « démocratiques » et « représentatives », qu’un nombre de plus en plus important de citoyens jugent ne pas les représenter, et ne pas permettre leur participation démocratique à la vie de la Cité. Crise également de l’État, contesté d’un côté par les exigences à plus de démocratie et plus de liberté, et de l’autre côté malmené par la poussée libérale et la mondialisation capitaliste.

Les libertaires trouvent dans cette crise une confirmation de leurs critiques des institutions étatiques et parlementaires. Mais la situation exige autre chose qu’une simple critique négative. Elle appelle des propositions stratégiques immédiatement concrétisables, et le projet d’une société nouvelle, inspiré par les aspirations libertaires et autogestionnaires.

2. Le retour d’un refoulé : la lutte des classes, l’existence du prolétariat

L’un des moteurs essentiels de cette crise est la contradiction entre l’existence dans la société de conflits de classes aigus mais masqués, et l’absence ou la faiblesse de la représentation, de l’expression des couches les plus exploitées et dominées de la population.

L’effondrement du Parti Communiste, la transformation de la social-démocratie en social-libéralisme, l’alliance proposée par le PS entre couches moyennes et Capital, la gestion zélée du capitalisme du PC et du PS de concert avec les Verts, ont entraîné un recul de la représentation institutionnelle des couches populaires, que l’ersatz proposé par Lutte Ouvrière ne saurait compenser.

La représentation symbolique du Prolétariat dans l’imaginaire social a également été soumise à un feu idéologique permanent depuis des décennies. La dévalorisation, la dépréciation symbolique du Travail ouvrier s’est accompagnée d’une dépréciation des ouvriers et des employés eux-mêmes.

Enfin le mouvement syndical et social n’a pas encore réussi à s’affirmer comme une force autonome, porteuse d’un espoir manifeste, partagé par de larges pans de la société.

L’extrême droite progresse parce qu’il n’y a pas aujourd’hui de projet de transformation de la société porté à une large échelle, et parce que le mouvement social et syndical est en crise, avec une lourde responsabilité des bureaucraties des grandes organisations syndicales qui ont, entre autres, et durant des décennies, négligé et même souvent méprisé les revendications des précaires et des chômeurs.

Pourtant, les ouvriers existent toujours, et plus largement on peut parler d’un Prolétariat moderne englobant ouvriers, employés, chômeurs, salariés précaires, couches moyennes salariés et prolétarisées. C’est finalement la majorité de la population... qui se trouve sans expression satisfaisante dans la société contemporaine !

Et le conflit des classes, lui, continue, d’une part sous la forme des résistances de certaines couches de salariés et de « sans », mais surtout, hélas, sous la forme de l’offensive constante de la classe adverse, celle du Capital, classe que le MEDEF en France mais aussi les institutions de l’Union européenne ont doté d’un projet de société.

3. L’écrasante responsabilité du PS, du PC et des Verts

C’est peu dire que la responsabilité de la crise actuelle et de l’ascension de l’extrême droite repose d’abord sur la gestion du gouvernement PS-PC-Verts. Voici venu le temps du bilan pour cette gauche gestionnaire qui n’a ni su, ni pu, ni voulu s’en prendre aux injustices et aux inégalités sociales, et qui a progressivement repris à son compte, à peine amendée, la doxa libérale.

Le ralliement de cette gauche de gestion aux thèses « sécuritaires » ces dernières années a confirmé cette inexorable perte de sens. Pendant des années elle a participé à une répartition de plus en plus inégalitaire des richesses, à une montée de la misère et de la précarité, à une dégradation des services publics et des prestations sociales, c’est à dire à une montée de l’insécurité sociale. Cette insécurité sociale ne pouvait que provoquer une dégradation des conditions de vie et des relations sociales, notamment dans les quartiers les plus défavorisés. Pourtant le gouvernement de gauche, emboîtant le pas à la droite, a choisi de s’en prendre aux symptômes mais non aux causes. Il a choisi la politique de la distribution des coups de matraque, plutôt que celle de la redistribution des richesses, contribuant à désigner une partie de la population, et notamment sa jeunesse, comme de nouveaux boucs émissaires.

Depuis de nombreuses années, et notamment depuis la signature du Programme commun qui préparait la montée de la gauche au gouvernement en 1981, notre courant n’a eu de cesse d’opposer à la logique de la gauche de gestion celle de la gauche sociale, à la stratégie sociale-démocrate des « changements » opérés depuis la tête de l’État, celle des contre-pouvoirs imposant de vrais changements par les luttes menées dans tous les lieux de vie et de travail. Dans ce combat, des tâches nouvelles sont devant nous.

4. Les libertaires face à la présidentielle d’avril 2002

Avant le premier tour des Présidentielles, nous avons mené campagne pour l’abstention, et nous récusons toute culpabilisation à ce sujet. Nous défendons la pluralité d’expression, et refusons ce qui s’avance masqué derrière le « Front républicain » : un totalitarisme qui condamnerait, au nom du vote « utile », toutes les expressions critiques, l’abstention, le vote nul ou blanc, les candidatures d’extrême gauche.

Aussi revendiquons-nous sans honte notre participation active à la déroute de la gauche institutionnelle lors du premier tour des législatives, par une campagne nationale d’Alternative libertaire en faveur d’une abstention politique ; par la participation à plusieurs campagnes locales et régionales telle que la campagne « abstention ; pour un troisième tour social » de la Région Centre ; et enfin par la campagne « CA SUFFIT ! », alliant l’abstention et le vote nul, campagne qui associait l’Alternative Libertaire, le Collectif « A Contre Courant » et des animateurs de Droits Devant !!

Mais il était évident que nous ne pouvions reconduire mécaniquement l’appel à l’abstention pour le second tour. Aucun dogme ne pouvait masquer la gravité de la situation nouvelle créée par la présence inattendue de Le Pen, et nous nous refusions à considérer avec mépris ceux qui choisissaient de lui faire barrage y compris dans les urnes. Même si ce n’est pas là que l’on peut briser les causes profondes de son ascension. Et même si Chirac mènera à l’Élysée une politique inspirée par son adversaire du 5 mai.

À la différence d’autres collectifs libertaires, Alternative libertaire a donc décidé de ne pas appeler à l’abstention pour le second tour des présidentielles, et, tout en dénonçant le consensus totalitaire du Front dit Républicain et les responsabilités écrasantes de la gauche plurielle, à concentrer son intervention sur un objectif : que le 5 mai le score de Le Pen soit le plus petit possible (« Pas une voix, et notamment pas une voix ouvrière, de chômeur ou “d’exclu”, pour le multi-millionnaire Le Pen ! »)

5. Force de la mobilisation anti Le Pen... mais persistance à un haut niveau du danger fasciste

Lors du second tour des Présidentielles, si l’extrême droite n’a guère gagné de voix, c’est grâce à la mobilisation de la rue, et notamment à celle de la jeunesse. Le Pen n’a pas réussi à dévoyer une partie des abstentionnistes du premier tour, et ce fut grâce à la rue. Seconde qualité de la mobilisation antifasciste d’avril : son refus du racisme.
C’est donc bien sur le contenu, sur la conception de la société que c’est opéré le clivage. Et c’est un formidable encouragement pour l’avenir. Les militant(e)s d’Alternative libertaire se sont plongés dans cette mobilisation, sont intervenus dans les Forum, ont diffusé largement leurs propositions et multiplié les contacts... Il convient maintenant de faire retour sur ces mobilisations d’avril, de les analyser, d’en dégager quelques caractéristiques.

La jeunesse lycéenne et étudiante a été la plus prompte à réagir et à se mobiliser. Cette mobilisation massive a vu l’UNEF, le MJS, et la Gauche Socialiste tenter de récupérer et d’encadrer le mouvement. Par contre des noyaux actifs et spontanés sont également apparus, porteurs de fortes exigences de démocratie et de libre parole. Cette mobilisation de la jeunesse n’a pas toujours rencontré les mouvements sociaux plus traditionnels. La jeunesse mobilisée a en tout cas mené son action la plupart du temps seule. Cela révèle la faiblesse des mouvements sociaux et y compris celle des forces émergentes de ces dernières années (les SUD notamment) même si celles-ci furent tout de même plus présentes que les forces sociales et syndicales traditionnelles.

Enfin il faut bien pointer la limite du mouvement, qui fut de se focaliser contre Le Pen et le FN en ne remettant pas en cause les causes profondes de leur ascension. La menace bien réelle de l’extrême droite a permis de masquer les responsabilités tout aussi réelles du gouvernement sortant... et de la droite. La crise institutionnelle a été oubliée sous la poussée d’un improbable « Front Républicain » et d’une apologie d’une « République » qui est pourtant elle-même profondément inégalitaire et antidémocratique, et qui repose sur une discrimination raciste et colonialiste (l’exclusion politique des immigrés).

La défaite de Le Pen au second tour ne doit pas faire illusion. Deux facteurs au moins contribuent à des scores qui restent élevés, et extrêmement inquiétants. Le premier facteur est l’existence dans ce pays d’un fort noyau d’électeurs et de militants acquis aux thèses et au programme du Front National. Le second facteur, c’est la crise sociale et la crise de représentativité, qui trouvent ici une forme monstrueuse d’expression.

Le noyau militant fascisant a su capter un électorat populaire plus large, qui n’est pas totalement acquis aux thèses idéologiques du FN. Cet électorat populaire est désemparé par la gestion capitaliste des partis institutionnels, de gauche comme de droite. Confronté au mal vivre provoqué par la montée de l’insécurité sociale, ces électeurs sont incapables de s’en prendre aux vraies causes de ce malaise, et se retournent contre les boucs émissaires désignés par le FN, à commencer par les immigrés. Il y a donc, derrière la montée de l’extrême droite, se combinant, s’interpénétrant souvent, des causes idéologiques, dont le ferment le plus fort est le racisme, et des causes sociales.

Aussi la défaite de Le Pen le 5 mai n’annonce en rien une déroute certaine de l’extrême droite. Ces présidentielles peuvent au contraire marquer l’ouverture d’un nouveau cycle de progression du Front National et du MNR. Dans les mois et les années à venir, des conquêtes institutionnelles peuvent leur permettre d’asseoir et de développer leurs positions, parce que les causes sociales qui ont permis leur montée ne se sont pas résorbées, et que le gouvernement qui sortira des législatives, quel qu’il soit, ne s’en prendra pas à ces causes.

Par ailleurs la dynamique qui porte actuellement le Front national s’appuie plus que jamais sur le développement de discours et de mouvements autoritaires, populistes mais aussi fascisants en Europe. Elle fonde également sa légitimité par sa progression électorale voire par sa participation au pouvoir (Italie, Autriche, Pays-Bas, Danemark). Aussi pour nous la lutte antifasciste ne peut être qu’internationale.

Comment combattre aujourd’hui le fascisme ? En s’appuyant sur une analyse de ce qu’il est, de ses modalités d’ascension, et de ce qui la rend possible :
 Parce que l’extrême droite est une force idéologique et une machine à tromper une partie des citoyens, il est important que se développe une activité spécifique antifasciste sous les diverses formes qu’elle peut se donner : collectifs de base, collectifs Ras l’Front, Sections Carrément Anti Le Pen...
 Parce que l’extrême droite s’appuie sur les institutions pour asseoir son influence et pour porter des coups bien concrets, notamment contre les populations issues de l’immigration, il convient d’agir pour qu’il n’accède à aucun poste de pouvoir, y compris par le vote barrage. En ceci nous divergeons d’autres militants libertaires. Sans nous faire d’illusions sur les progrès qui pourraient sortir des urnes, nous savons que le pire peut par contre en surgir. C’est pourquoi le fascisme peut et doit aussi se combattre dans les urnes. Il faut l’arrêter là aussi, chaque fois qu’il est en mesure de gagner...
 Enfin l’antifascisme ne peut à lui seul triompher du fascisme. Pour détruire les souches sur lesquelles il prolifère il faut que se développe un large mouvement anticapitaliste, un mouvement positif, de transformation de la société, portant à la fois des exigences d’égalité des Droits pour toutes et tous sans aucune discrimination, et de Justice sociale. Pour combattre l’extrême droite, il faut combattre la misère. C’est pourquoi l’époque est marquée selon nous par trois fronts : le Front National, le Front Républicain, c’est à dire le consensus des partis institutionnels de gauche comme de droite, et le Front Social.

6. Pour un Front Social de l’Égalité et de la Solidarité

L’immense mouvement de mobilisation qui s’est exprimé en avril doit trouver un débouché politique, mais pas au sens d’une récupération au profit de tel ou tel parti, ni en se perdant dans les jeux usés d’institutions largement désavouées. A toutes celles et ceux qui ont ressenti un fort besoin d’engagement en avril, il faut proposer une activité collective. La seule issue concrète pour faire reculer la misère et le racisme est pour nous l’émergence d’un vaste Front social, c’est à dire d’un vaste mouvement de mobilisation s’exprimant directement sur tous les lieux de vie, d’habitat, d’étude et de travail, et fédérant les luttes sociales.

Un Front Social porteur d’exigences immédiates, comme la redistribution des richesses par un relèvement massif des minima sociaux et des salaires, une redistribution du travail, la réquisition de tous les logements vides, l’arrêt de toutes les expulsions, la régularisation de tous les sans papiers, l’égalité hommes / femmes... Un Front Social permettant également d’ouvrir le débat sur des transformations en profondeur de la société, y compris en ce qui concerne les Droits et les exigences d’une démocratie authentique.

Ce que nous nommons un « Front Social de l’Égalité et de la Solidarité » se construira sur la base des associations du mouvement social et des organisations syndicales, mais également en s’élargissant à des secteurs nouveaux de la population et de la jeunesse à travers des Assemblées ou des Forum de rue, de quartier, de commune, d’entreprises, ouverts aux individus.

L’exemple des mobilisations sociales en Italie comme en Espagne doit nous inspirer. Un « Front Social de l’Égalité et de la Solidarité », à la fois mouvement nouveau et fédération des mouvements existants ne se décrétera pas. Mais ses prémisses existent déjà. Une partie des mouvements sociaux ont déjà tissé des liens réguliers dans de nombreuses localités, et se retrouvent ensemble mobilisation après mobilisation. De nouvelles initiatives vont dans le sens d’une fédération des luttes, qu’il s’agisse de l’Appel aux Forum de rue (« Vers un nouveau tous ensemble ») ou de la Marche des résistances sociales qui, allant de Clermont-Ferrand à Séville, traversera la France durant les législatives.

Il s’agit d’appuyer ces démarches, mais aussi de favoriser un élargissement à des forces nouvelles et à des secteurs de la population qui se sentent encore étrangères aux mobilisations du mouvement social : permettre une parole libre, une véritable écoute de tous et non des seuls militants aguerris - sans négliger l’apport de ceux-ci, élaborer des revendications depuis la base et avec la base.

L’envie très forte de pouvoir s’exprimer, de parler directement que l’on a pu constater nécessite que la question des lieux soit posée. Les expériences italiennes, argentines (centres sociaux, AG populaires permanentes) etc. démontrent que les lieux où les gens peuvent se réunir, sont des facteurs de cristallisation politique très importants. L’absence de lieu entraîne avec le reflux de la mobilisation, l’éclatement des collectifs spontanés et la dispersion des forces. Cette question est décisive pour l’avenir.

Vis à vis des partis et des mouvements politiques de la gauche et de l’extrême gauche, la relation doit être claire et faire rupture avec la relation traditionnelle de soumission, social-démocrate, stalinienne ou léniniste, qui a trop longtemps pesé sur le mouvement social et syndical, et qui a contribué à sa régression. Un tel Front social, s’il est ouvert à l’expression de tous, doit rester autonome vis à vis de quelque force politique que ce soit (y compris bien sûr libertaire).

Il repose sur l’arc association / syndicats / assemblée ou Forum de citoyens. Tel ou tel parti peut soutenir, mais non diriger ou participer en tant que tel à son organisation. La relation aux partis qui se présentent aux élections pour briguer les suffrages des électeurs et qui peuvent se retrouver, à tout niveau, dans des positions de pouvoir, ne peut être qu’une relation confrontative. C’est à dire une relation où les élus et les aspirants élus écoutent les exigences des mouvements sociaux, se prononcent sur elles, mais en aucun cas ne prétendent les dicter ou se les réapproprier.

Cette relation confrontative aux partis politiques institutionnels trouvera immédiatement son application durant les législatives de juin 2002. Face au gouvernement qui en sortira, qu’il soit de gauche ou de droite, l’heure sera à l’affrontement, et les libertaires appellent dors et déjà à défendre la nécessité d’une grève générale des salariés. Grève générale de riposte et de transformation sociale, indissociable d’un mouvement où convergeraient toutes les formes de résistances contre toutes les formes de précarité, d’exclusions et de domination. L’objectif d’une grève générale interprofessionnelle, sur ses revendications, doit être débattu largement.

C’est un objectif fédérateur, il constitue la principale possibilité de stopper les politiques antisociales du MEDEF et du gouvernement, et c’est pour cette raison que ce débat aujourd’hui peut et doit être posé. Il y a nécessité à populariser cette option, dans la perspective des attaques qui se porteront bientôt, par exemple sur les retraites.

7. Les dangers et les pièges des législatives de juin 2002

Le vote « utile » va imposer une formidable pression sur les élections législatives de juin. Au sein de l’institution parlementaire, il n’y aura pas d’espace de masse pour une expression des résistances sociales. Durant la campagne, de fortes exigences pourront être formulées par les mouvements sociaux, mais ces exigences seront exprimées de l’extérieur, depuis des espaces extraparlementaires, extra-institutionnels.

Les militant(e)s et les Collectifs d’Alternative libertaire se proposent d’agir et de s’exprimer durant ces élections dans les directions suivantes :
 Favoriser toutes les initiatives « confrontatives » permettant l’expression directe des citoyens dans des Assemblées et des Forum de rue, soutenir une dynamique de parole spontanée qui rendra vivante l’opposition entre la Démocratie directe et la délégation du pouvoir.
 Rappeler les responsabilités et les politiques antisociales de la gauche ET de la droite institutionnelles.
 Exprimer et étayer notre critique des institutions dites « républicaines » et leur opposer un projet de socialisme libertaire fondé sur l’autogestion et la fédération.
 Donner un second souffle à la lutte antifasciste et faire barrage à la montée du FN et du MNR. Il appartient aux collectifs et militant(e)s libertaires qui ne veulent pas se laisser étouffer par des tabous idéologiques, d’évaluer localement chaque situation, et d’agir y compris par le bulletin de vote là où l’extrême droite risquerait d’emporter des sièges.
 Enfin les militant(e)s d’Alternative libertaire, tout en étant ouverts aux débats et aux confrontations avec tous les anticapitalistes, mettent en garde les partis d’extrême gauche contre les tentatives de dévoyer des porte-parole des mouvements sociaux à l’occasion de ces législatives. L’éventualité d’une chute des scores de LO et de la LCR ne doit pas conduire à entraîner les mouvements sociaux dans une aventure électorale où ils ne pourraient que se minorer.

Le gouvernement qui sortira de ces législatives, qu’il soit dominé par les gaullistes ou par le Parti socialiste, fera mine un temps d’avoir « entendu le message des électeurs ». Mais en réalité il continuera la politique du tout sécuritaire, avec plus de brutalité s’il est de droite ou plus d’hypocrisie s’il est de gauche, mais toujours sans s’attaquer aux inégalités et aux injustices sociales, et toujours en accélérant les mesures de précarité et d’insécurité sociale ; il ne sera pas disposé à améliorer le statut des populations issues de l’immigration, et notamment les Sans papiers ; il poursuivra la criminalisation des militants les plus radicaux des mouvements sociaux ; il continuera à inscrire la conduite du pays dans la mondialisation capitaliste, et dans la politique libérale qui fait de l’Union européenne un des leviers de cette mondialisation.

Aussi le développement des luttes sociales d’une part, et d’autre part l’affirmation d’une alternative possible seront-elles au cœur de nos interventions dans les mois à venir, afin qu’il n’y ait aucun état de grâce après les législatives.

8. L’alternative se construit aussi à l’échelle du monde

La question internationale fut la grande absente de la campagne présidentielle, sauf sous la forme des élucubrations souverainistes de Le Pen. La forte mobilisation anti-globalisation fut elle-même assez peu présente lors des mobilisations de rue, et l’on a noté le relatif effacement d’ATTAC durant cette période. Remettre la question internationale à l’ordre du jour, en faire l’un des vecteurs de la politisation de la jeunesse, sera l’un des axes majeurs des militant(e)s d’Alternative libertaire, et plusieurs campagnes vont nous permettre d’aller dans ce sens :
 Le soutien à la lutte légitime du peuple Palestinien.
 Le contre-sommet de Séville qui permettra de défendre le projet d’une Autre Europe. Avec la grande manifestation prévue à Séville le 22 juin et la Marche des résistances sociales qui la précédera.
 Le « Forum social européen » organisé en novembre en Italie, et où il s’agira de faire entendre avec force l’existence des mouvements sociaux combatifs un peu partout en Europe...
 La préparation du G8 en France pour l’année 2003.
 Enfin le développement de Solidarité internationale libertaire (SIL), avec les campagnes en faveur des initiatives concrètes des libertaires d’Amérique latine, et la préparation du Congrès libertaire mondial de début 2003 à Porto Alegre.

9. Besoin d’espace de débats et d’élaboration entre les courants et les militants des gauches critiques

L’effondrement de la gauche institutionnelle aux Présidentielles, qui fait suite à des années de crise, de renoncements et de trahisons, encourage à gauche, à l’extrême gauche, chez les Verts, parmi les militant(e)s associatifs ou syndicalistes, une grande soif de réflexion, d’échanges et de remises en question.

Il nous semble que les libertaires doivent s’inscrire sans sectarisme et autant qu’ils le peuvent dans les débats ouverts, et même en provoquer. Ne pas adopter la posture d’une avant-garde éclairée et arrogante, mais partager les interrogations, tout en rappelant les apports positifs de notre courant. Nous avons à apprendre des autres, et en même temps à partager, à convaincre.

Avec des militants sincères issus du PCF ou des Verts, l’époque est favorable pour des échanges, à la base ou plus formalisés.

Ce désir de débat et d’approfondissement des échanges entre courants anticapitalistes pousse également Alternative libertaire à s’adresser une nouvelle fois aux Alternatifs et à la LCR, pour leur proposer d’engager des débats publics et approfondis sur les perspectives des révolutionnaires et des autogestionnaires dans l’époque contemporaine.

De même nous nous adressons à No Pasaran, ainsi qu’aux groupes de la FA, pour renouveler nos propositions de débats et d’échanges fraternels. Nous avons noté que parmi les militant(e)s libertaires l’appel traditionnel à l’abstention n’a pas toujours été reconduit au second tour. Dans la FA des voix se sont élevées pour appeler publiquement à voter contre Le Pen, tandis que Le Monde Libertaire appelait, il est vrai, à la grève du vote.

En gros, au-delà des mots d’ordre, deux attitudes différentes se sont dégagées parmi les libertaires. Les uns ont voulu prendre en compte le danger fasciste et la dynamique, la mobilisation que ce danger avait suscitée. D’autres camarades ont reconduit coûte que coûte l’appel au refus de vote. Ce débat a également traversé la CNT et No Pasaran.

Nous allons poursuivre nos efforts en faveur d’une unité des libertaires, notamment en direction des composantes les plus présentes dans les mouvements sociaux, et nous espérons que l’on pourra faire plusieurs pas en avant, vers l’émergence d’une nouvelle forme politique organisée, d’une nouvelle force libertaire, bien plus ample que les regroupements actuels...

Enfin, pour répondre à un besoin d’unité et de réflexion qui dépasse largement les groupes constitués et les courants nommés, Alternative libertaire renouvelle sa proposition : aller ensemble, le plus rapidement mais aussi le plus unitairement, le plus largement possible, vers la formation d’un grand Mouvement anticapitaliste.
 Un mouvement politique au sens noble et non au sens politicien du terme, qui romprait avec les formes et les fonctions traditionnelles des partis, et qui ne s’enfermerait ni dans les priorités électoralistes ni dans les tête-à-tête organisationnels.
 Un mouvement porteur d’un projet alternatif de démocratie. Un mouvement qui respecterait scrupuleusement l’autonomie des mouvements sociaux, tout en étant largement ouvert aux acteurs de ces mouvements.
 Un creuset, un cadre collectif d’élaboration, permettant l’invention d’alternatives au capitalisme et à la tyrannie du marché.

10. Pour l’affirmation d’une alternative libertaire crédible

Le grand élan de mobilisation et de politisation qui a caractérisé le mois d’avril a entraîné un afflux de contacts en direction d’Alternative libertaire.
Nous trouvons dans l’époque actuelle un formidable encouragement, en même temps que nous savons que les années à venir seront des années d’intenses combats sociaux et politiques.

Aussi Alternative libertaire entre dans une nouvelle phase de construction, dont voici quelques grands axes :
 Nous allons redoubler d’efforts et d’initiatives pour assurer la « visibilité » d’une alternative libertaire.
 Nous allons lancer un cycle de formation politique, ouvert et publique, offrant des outils et proposant des repères à tous ceux qui veulent s’engager aujourd’hui.
 Nous nous adressons à toutes celles et ceux qui pensent que, dans cette situation, l’expression d’un courant tel qu’Alternative libertaire, à la fois dynamique et non dogmatique, est positive voir nécessaire : Alternative libertaire a besoin de soutiens, plus nombreux que jamais !
 Enfin nous allons donner au prochain congrès d’Alternative libertaire la tâche d’élaborer des propositions de société permettant de rendre plus tangible, plus crédible, plus immédiat le Projet de société des libertaires, notamment en matière de démocratie directe, de services publics et de secteur alternatif, d’alternatives concrètes à l’État et au Capital.

Il s’agira, à travers les élaborations de ce congrès, de donner plus de force et plus d’actualité à une conception contemporaine de l’intervention des libertaires, une intervention qui sera d’autant plus subversive, d’autant plus révolutionnaire, qu’elle répondra aux enjeux et aux questions immédiates posées par le monde réel qui nous entoure.

Coordination nationale d’Alternative libertaire, le 18 mai 2002

 
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