Mouvement social : et maintenant ?




Le mouvement social du printemps 2003 a révélé avec violence à quel point les idées sont vitales pour l’action. L’incapacité à contrer le plan Fillon, c’est également la faillite du modèle social-démocrate qui domine dans le mouvement syndical. Renverser ces modèles reste un combat crucial pour éviter de nouvelles défaites.

Les banderoles sont repliées, les souliers fatigués, les feuilles de paie sévèrement amputées et les mines allongées. On n’a pas fini de ressasser la défaite avec amertume. Battus dans la rue, la majorité des grévistes de mai-juin peut être tentée de reporter ses espoirs sur les urnes. Provisoirement, la gauche institutionnelle peut donc recommencer à exister. D’ici quelques mois, de la LCR au PS, on ne parlera plus que de « refonder la gauche », de « préparer l’alternance », avec une « gauche de gauche », etc. De nouveau, les discussions tourneront autour des alliances électorales. Sans doute bon nombre de collègues, syndicalistes, grévistes, révolté(e)s, observeront avec un intérêt mélangé cette énième recherche de la pierre philosophale : gouverner le capitalisme dans l’intérêt des exploité(e)s. Quel en sera le résultat ? D’ici quelques années, le PS espère revenir au pouvoir, on peut compter sur lui pour entériner toutes les réformes de Raffarin, et les approfondir sans doute.

Le poids des logiques social-démocrates

Mais ceux et celles qui veulent vraiment s’opposer à ce gouvernement thatchérien savent que le déplacement de la lutte sur le terrain institutionnel sera contre-productif pour le mouvement social. Après les retraites, Raffarin va s’attaquer de front à l’assurance maladie, voire au droit de grève, avec ses clins d’œil aux patrons sur le thème du « service minimum ». Il va donc falloir se poser de nouveau, avec opiniâtreté, la question d’une grève générale, et des conditions d’une victoire.

Les directions syndicales opposées au projet Fillon, en particulier la CGT, FO et la FSU, ont tout fait pour empêcher la généralisation des grèves.

Mais elles n’y sont parvenues que parce que la majorité de leur base militante a accepté et mis en œuvre leur stratégie catastrophique de temporisation. Plus que des directions défaillantes qu’il s’agirait de changer, ce qui est en cause ici c’est donc bien l’idéologie qui domine à gauche et que l’on peut qualifier, pour résumer, de social-démocrate.

Qu’est-ce que la social-démocratie ? C’est le combat pour le consensus social, la croyance que l’État est un appareil « neutre » qui garantit « l’équilibre des forces » dans la lutte des classes en satisfaisant un peu tout le monde, et qu’un parti de gauche au pouvoir est le meilleur garant de cet équilibre. Les conséquences de cette idéologie dans le mouvement social sont, concrètement et immédiatement, des stratégies qui le conduisent à l’impasse, avec Thibault (CGT), Blondel (FO) et Aschieri (FSU) voulant à tout prix éviter un affrontement central qui aurait risqué de faire chuter le gouvernement, alors qu’il n’y a pas, pour l’heure d’alternative gouvernementale crédible type « union de la gauche » ou « gauche plurielle ».

Une gauche libertaire, pourquoi faire ?

Il n’y a pas de fatalité à cela. En de multiples endroits, les AG, voire certaines sections syndicales critiques, ont débordé la ligne de ces directions syndicales. L’auto-organisation peut permettre cette transgression... si tant est que les militant(e)s qui lui sont hostiles échouent à lui tordre le cou. Loin d’être spontanée, l’auto-organisation est un combat.

Avec d’autres, qui ne se souciaient pas d’être « raisonnables » ou d’articuler leur lutte à un projet gouvernemental, les militant(e)s communistes libertaires ont, de ce point de vue, joué leur rôle au maximum de leurs possibilités.

Dans la logique syndicaliste révolutionnaire et libertaire, les luttes sont déconnectées des enjeux gouvernementaux : elles ne valent que dans leurs fins propres (les conquêtes sociales) et leurs moyens (l’autogestion de la lutte). C’est une logique qui articule une pratique immédiate à un projet de société émancipateur, l’un devant féconder l’autre en permanence.

Le mouvement social et syndical gagnera sa pleine maturité et sa pleine capacité d’action à mesure qu’il se débarrassera des illusions social-démocrates - même « radicales » - qui aujourd’hui l’entravent, et qu’il se dotera d’un projet de société déconnecté des enjeux institutionnels. Le poids d’une gauche libertaire qui aujourd’hui encore, pour l’essentiel, reste à accoucher, sera décisif en ce sens.

Édith Soboul (secrétariat national d’AL)

 
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