Services publics

Privatisation d’ADP : pourquoi refuser la grande braderie macronienne




La privatisation des Aéroports de Paris (ADP) est loin d’être un problème pour la bourgeoisie parisienne qui a les moyens de se déplacer régulièrement en avion. C’est avant tout un désastre social et écologique annoncé et une attaque contre le patrimoine collectif. Lutter contre elle est une nécessité.

La procédure de privatisation d’ADP a été remise sur le devant de la scène par la procédure de référendum d’initiative partagée (RIP) appuyée par des parlementaires de diverses obédiences et portée par la CGT ADP. Ce processus extrêmement contraignant (voir encadré ci-dessous) s’annonce comme une question politique cruciale pour les mois à venir. Comment faut-il aborder cette affaire ?

D’abord, il faut garder en tête qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé. Elle prend place dans une vague de tentatives de privatisation d’aéroports : celle de Toulouse Blagnac est toujours en cours, malgré une récente décision d’annulation de la cour administrative, saisie par les syndicats combatifs (Solidaires, CGT, FSU) qui sont actifs sur le site. Plus généralement, elle n’est jamais qu’une dimension de la grande destruction du service public (hospitalier, scolaire, ferroviaire...) lancée par le gouvernement, et qui menace de s’étendre aux routes nationales : la loi LOM de 2019 rend possible de vendre certains segments de voies nationales jusqu’alors gratuites aux concessionnaires d’autoroutes comme Vinci.

Brader ADP est pourtant d’une grande irrationalité économique. Les pertes sèches pour les finances publiques ont été abondamment soulignées : 200 millions d’euros en moins chaque année. Mais la question de la concurrence a été peu abordée. Pourtant, le premier économiste venu sait que les aéroports internationaux, tout comme les autoroutes, sont ce qu’on appelle des « monopoles naturels » : les coûts pour entrer sur de tels marchés sont prohibitifs, de sorte qu’il ne peut pas y exister de concurrence.

Développement de la sous-traitance

Les propriétaires peuvent donc se gaver en faisant flamber les prix et en dégradant la qualité du service. Les usagers des autoroutes concédées à Vinci pour une bouchée de pain en savent quelque chose : selon Le Parisien, entre 2011 et 2018, les tarifs des autoroutes françaises ont augmenté de près de 10%. Et pour cause : il est invraisemblable qu’un investisseur privé vienne construire une autre autoroute pour le même trajet, faisant ainsi jouer la concurrence. Il en va de même pour le secteur aéroportuaire : personne ne viendra construire un aéroport pour concurrencer les sites de la région parisienne (CDG, Roissy...), qui sont tous détenus par ADP.

La privatisation d’ADP est aussi un désastre social à retardement. Comme l’a souligné le secrétaire général de la CGT ADP à L’Humanité, une procédure partielle de privatisation avait déjà été lancée en 2005. Résultat : 1.600 emplois perdus en quelques années, et un développement important de la sous-traitance. Même constat lors de la concession des autoroutes, où à chaque fois qu’une usine est vendue à une autre bande d’actionnaires sans scrupules : les reventes d’entreprises sont souvent l’occasion de grandes opérations de dégraissage salarial.

Cela peut paraître étrange, mais conserver ADP sous contrôle étatique est également un enjeu écologique : réduire la pollution importante causée par les transports aériens sera d’autant plus difficile que le capital privé aura mis la main sur le secteur. Selon le ministère de l’Écologie, l’aviation représente « 2% des émissions de gaz carbonique tous secteurs confondus et 13% de celles liées aux activités de transport dans le monde » : ce n’est donc pas une question secondaire.

Néanmoins, les intentions des parlementaires appelant à un référendum ne sont pas toujours aussi pures : certains soutiennent la proposition avec pour objectif une explosion du trafic aérien, qu’on ne saurait soutenir si on se préoccupe un tant soit peu de l’environnement. Sans parler des difficultés énormes qui marquent la procédure référendaire et ses conditions concrètes : il est nécessaire d’être inscrit.e sur les listes électorales (ce qui laisse de côté les étranger.es et beaucoup de Français.es), tandis que le site internet permettant de soutenir la proposition est truffé de bugs et de problèmes d’accessibilité.

Paris, le 11 janvier 2020.
Jeanne Menjoulet

L’illusion du « front républicain »

Mais quoiqu’on pense de la procédure référendaire, une chose est sûre : elle est une belle épine dans le pied du gouvernement, parce qu’elle contribue à crisper le climat des affaires et donc à retarder la vente. De plus, 250.000 signatures étaient déjà collectées le 21 juin, soit environ 5% du total requis, après seulement quelques jours de campagne.

Pour autant, il n’est pas question d’entretenir l’illusion du « front républicain » avec la droite, qui ne voit dans la lutte contre la privatisation qu’un enjeu de grandeur nationale. Que les emplois soient supprimés et l’environnement ravagé par l’État ou par les capitalistes privés ne change rien de fondamental. La propriété publique n’a de sens que si elle permet le contrôle démocratique : laisser les transports aux politiciens ou aux hauts-fonctionnaires n’a rien de satisfaisant.

Cette campagne pour un référendum doit être une occasion de poser la question qui compte : celle de l’autogestion des moyens de production, et notamment des transports, parce celles et ceux qui y travaillent et y ont un intérêt. Le genre de questions que les « fronts républicains » ne peuvent pas poser.

Mathis (UCL Lyon)


Référendum d’initiative partagée :
UNE PROCÉDURE CONÇUE POUR NE JAMAIS ARRIVER À SON TERME

  • Première étape : obtenir l’appui d’un cinquième des membres de l’Assemblée et du Sénat ainsi que l’approbation du Conseil constitutionnel. Ce cap a été franchi pour la première fois depuis l’introduction du RIP dans la constitution en 2008.
  • Deuxième étape : recueillir le soutien d’un électeur sur dix, soit 4,7 millions de personnes neuf mois après le début de la collecte (soit mars 2020, en l’occurrence). Un nombre bien supérieur à ce qui est requis pour l’initiative populaire suisse, qui n’exige que la signature d’un électeur sur cinquante dans un délai
    de dix-huit mois.
  • Troisième étape : obtenir que la présidence de la république organise le référendum, sous réserve que le Parlement ne décide pas d’examiner lui-même la question de la privatisation dans un délai de six mois après la collecte des signatures. Dans le cas contraire, la procédure est annulée. Autant dire que nous sommes loin de l’initiative citoyenne revendiquée par les gilets jaunes.
 
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