Prostitution : Le Strass, syndicat ou lobby ?




Le Strass (Syndicat du travail sexuel) tire sa popularité au sein de larges pans de la gauche radicale de son appellation de syndicat. Suffit-il pour autant de se nommer ainsi pour avoir des pratiques qui s’en rapprochent ? Faisons un pas de côté par rapport au débat idéologique qui l’oppose aux abolitionnistes – dont AL – pour nous interroger sur ces pratiques et ce qu’elles ont – ou non – de syndical.

Un syndicat de prostitué-e-s, cela semble tomber sous le sens. S’organiser dans un syndicat, c’est bien le premier acte que des personnes peuvent entreprendre pour résister à l’exploitation qu’elles subissent dans l’activité d’où elles tirent leur revenu. Voilà bien une réponse concrète, pragmatique et de lutte de classes à l’oppression, la répression, la stigmatisation et aux violences que les prostitué-e-s subissent. D’où la popularité du Strass dans les milieux de la gauche radicale.

Militer au Strass, une affaire d’idées

Sans revenir sur les débats qui opposent le Strass et les abolitionnistes – dont AL – qui luttent contre les violences infligées aux prostitué-e-s, par l’État, les proxénètes et les clients, tout en visant l’abolition de la prostitution, il s’agit ici de poser la question des pratiques. Le Strass est la continuité syndicale de l’association Les Putes, fondée par des militants et militantes venu-e-s d’Act Up. Le Strass, comme Les Putes avant elle, excelle par conséquent dans ce qu’Act Up sait faire de mieux, à savoir l’agit-prop : imposer la prise en compte dans l’espace public, sur la base de dénonciations crues, d’un problème ou d’une population stigmatisée. Cela en fait-il un syndicat, comme il le proclame  ?

Sur son site internet  [1], on trouve surtout et pour commencer beaucoup de choses sur ses positions politiques : une Charte, un règlement intérieur, des statuts, les « positions du Strass »... Quand l’organisation se présente, c’est aussi pour mettre l’accent sur son idéologie, avant de finir brièvement par indiquer : « Nous informons directement les travailleurSEs du sexe sur leurs droits et comment les faire valoir, en allant à leur rencontre et en mettant à leur disposition, en différentes langues, des fiches pratiques. Nous nous efforçons de les conseiller et de les soutenir dans leurs démarches ». Le site dispose en effet d’une adresse à contacter en cas de violences, notamment pour bénéficier d’un accompagnement dans des démarches juridiques, et d’une rubrique « Nos droits » – mais, ce qui est étonnant pour un syndicat, ce n’est pas la plus fournie.

Les militantes et militants du Strass se font surtout connaître par leur hyperactivité sur internet  : communiqués de presse, intervention sur les réseaux sociaux... le plus souvent pour tacler les abolitionnistes
(surnommé-e-s « abos »), supposé-e-s responsables de tous les maux des prostitué-e-s. L’organisation intervient également dans de nombreuses initiatives unitaires féministes ou LGBT, et y pratique couramment l’ultimatum vis-à-vis des organisations abolitionnistes : le Strass ne signe pas si ses mots d’ordre ne sont pas intégrés à l’appel, même quand le sujet de la mobilisation n’est pas celui de la prostitution.

Dans sa forme actuelle, les pratiques du Strass s’identifient davantage à celles d’un lobby menant une bataille d’opinion – en l’occurrence, au vu de l’actualité, contre la pénalisation des clients – qu’à celle d’un syndicat, outil concret pour des travailleurs et travailleuses.

Clients ou patrons ?

Le Strass pourrait répondre que c’est seulement lorsque les prostitué-e-s auront les mêmes droits que les travailleurs et travailleuses qu’elles pourront mener des batailles syndicales pour les faire valoir. Mais c’est le choix de ses cibles qui est troublant. Pour faire une analogie, est-ce que les syndicalistes qui orientent leur stratégie revendicative autour de l’amélioration des conditions de travail considèrent que leurs premiers ennemis sont ceux qui préfèrent discuter dès maintenant de l’abolition du salariat ? Non, car dans les deux cas, la cible, ce sont bien les patrons. À l’inverse, il a fallu que les clients révèlent leur vrai visage à travers le « Manifeste des 343 salauds » publié dans Causeur, contre la pénalisation des clients, avec une brochette de personnalités réactionnaires, pour que le Strass fournisse une analyse claire de la position des clients vis-à-vis des prostitué-e-s. Jusqu’à il y a peu son site comportait une rubrique « Nos clients nous aiment », avec des messages de clients – qu’on aurait peine à trouver sur le site d’un syndicat de travailleurs du commerce. Aujourd’hui le Strass leur répond : « votre possibilité d’être clients n’est qu’une preuve du pouvoir économique et symbolique dont vous disposez dans cette société patriarcale et capitaliste »  [2]...

Pour qui parle le Strass ?

Le Strass représente une petite frange de celles et ceux qui officient en « libéraux » et ne sont pas sous la coupe d’un mac ou d’un réseau – et pas l’ensemble des prostitué-e-s. De ce point de vue, la notion de « travailleurs et travailleuses du sexe » sur laquelle il s’appuie masque deux réalités. D’abord, elle relativise la vente de son corps en l’assimilant à la vente de sa force de travail. Ensuite, elle assimile à l’activité de salarié-e-s celle de personnes exerçant à leur compte. Cela ne veut pas dire que des personnes qui ne sont pas salariées ne seraient jamais exploitées, ni ne devraient s’organiser pour se défendre – qu’on pense par exemple aux mouvements de paysans. Mais cela impose de définir différemment la source de cette exploitation. En l’occurrence, elle vient des diktats imposés par ceux qui achètent, et du rapport de forces qui se construit avec eux. Dans ce cadre, la bataille contre la pénalisation des clients est étonnante, et revient à s’inscrire plutôt dans une défense de la liberté d’entreprise.

Cela, le Strass le dissimule par un ensemble de tours de passe-passe communicationnels. Hurler à l’assassinat des prostitué-e-s lorsqu’on tape sur le client, le consomm-acteur, par exemple. Ou encore, faire croire qu’on concilie féminisme et défense du système prostitutionnel par un discours sur la liberté. La radicalité du verbe et des attitudes vient ici entretenir une confusion entre la liberté d’entreprise des libéraux, et la liberté des libertaires.

Pour nous, libertaires, il n’est pas question de fermer les yeux sur les conditions d’existence des prostitué-e-s, et comme pour ce qui concerne les violences faites aux femmes il est clair qu’un cadre législatif protecteur relève de l’urgence. En même temps, réclamer des lois sert souvent dans le mouvement féministe à pallier l’absence d’une réelle dynamique collective, et nous n’entendons pas non plus entretenir l’illusion que cela permettra d’en finir avec la prostitution. Ce qui reste à construire, ce sont des luttes collectives sur le féminisme, mais aussi sur la question du revenu, de l’accès aux soins, aux papiers, etc.

Ella (AL Saint-Denis) & Pierrot (AL Tours)

[2Tribune de Morgane Merteuil, secrétaire générale du Strass, publiée le 30 octobre 2013 sur lexpress.fr.

 
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