Révolte en Guinée : A khadan !




Depuis janvier, les syndicats guinéens ont lancé une grève générale sans précédent, alliant revendications sociales et revendications politiques. Aux cris de “ A khadan ! ” (ça suffit !), le peuple réclame le départ du dictateur sénile Lansana Conté.

Qui viendra à bout de Lansana Conté ?

Peu soudés, les partis politiques n’ont jamais réussi à incarner une réelle opposition au dictateur, et ce sont les centrales syndicales qui ont rempli ce rôle. Le 10 janvier, la Confédération nationale des travailleurs guinéens (CNTG) et l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG) ont déclenché la 3e grève générale en un an. Les Guinéennes et les Guinéens sont descendus dans les rues du pays par milliers pour protester contre la corruption, réclamer la baisse des prix des produits de base et la hausse des salaires…. puis la démission de Conté et la création d’un gouvernement d’union nationale.

Après avoir fait mine d’ignorer le mouvement, après avoir menacé de mort les responsables syndicaux, Conté a fait arrêter sept d’entre eux. Depuis le début de la grève générale, les “ bérets rouges ” de la garde présidentielle et les “ forces antigang ” de la police tirent à balles réelles. L’état de siège est bientôt décrété, suspendant toute liberté et toute possibilité de se réunir. Malgré tout, le mouvement semble déterminé à ne pas en rester là.

Les raisons du ras-le-bol

Tout au long de ses presque vingt-cinq années de règne, le colonel Lansana Conté a toujours craint un coup d’État militaire. Il avait toujours pris soin d’éliminer ses rivaux au sein de l’état-major et s’était acheté les bonnes grâces de l’armée, par exemple en vendant aux militaires le sac de riz à 10 % de la valeur du marché.

Le dictateur a finalement sous-estimé la colère populaire montante face à une situation économique désastreuse. Tandis que l’argent de la bauxite (voir encadré) a enrichi la classe dirigeante, la population n’a fait que s’enfoncer dans la misère.

Face à la crise que traverse le pays, les réactions internationales sont plutôt discrètes. Les gouvernements voisins sont loin de parler d’une même voix. Le Mali, la Côté d’Ivoire, et la Guinée-Bissau comptent parmi les amis de Conté, le Sénégal et le Burkina Faso lui sont plutôt hostiles et ceux de Sierra Leone et du Liberia craignent surtout une propagation des troubles à l’intérieur de leurs frontières.

Scénarios à la française

La France accorde chaque année d’importantes sommes à Conté pour “ la promotion des valeurs démocratiques ” 1. Après des années à relativiser l’autoritarisme du régime Conté, la diplomatie française est contrainte aujourd’hui de le condamner, tout en cherchant la meilleure façon de défendre ses intérêts sur place. Un scénario plausible pour une normalisation de la situation serait celui d’une révolution de palais telle qu’a connu la Mauritanie en août 2005, une fraction de l’état-major déposant le dictateur avec la bienveillance de Paris. Déjà, en sus des troupes stationnées au Sénégal et en Côte d’Ivoire, le navire militaire français Sirocco mouille au large de Conakry.

Revenons-en donc à la question initiale : qui viendra à bout de Lansana Conté ? C’est le mouvement populaire guinéen qui doit en décider. Et en aucun cas des magouilles dont l’État français est coutumier.

Charline (AL Paris Nord-Est), le 24-02-2007


<titre|titre=La bauxite bloquée>

La Guinée n’est pas inexistante dans l’économie mondiale. Elle est le 2e producteur de bauxite (et le premier en termes de gisements), minerai essentiel à la fabrication de l’aluminium. La Compagnie des bauxites de Guinée (CBG), qui a pour actionnaires l’État guinéen et les géants nords-américains Alcan et Alcoa, perdrait un million de dollars par jour de grève. La compagnie russe Rusal, qui exploite les mines de Débélé et la raffinerie de Fria, tourne au ralenti, notamment à Fria, qui a été le théâtre de violentes manifestations.


<titre|titre=Cinquante ans de dictature>

1958 Indépendance. Grave contentieux entre le président guinéen Sékou Touré et De Gaulle. Constamment menacé de renversement par les services secrets français, Sékou Touré deviendra paranoïaque et de plus en plus sanguinaire.

1963 L’exploitation de la bauxite est attribuée aux Canadiens, États-uniens et Soviétiques.

1974 Détente franco-guinéenne.

1984 Mort de Sékou Touré. Le colonel Lansana Conté prend le pouvoir.

1985 Partenariat économique et militaire signé avec Paris.

1993 Autorisation du multipartisme.

2001 Modification de la Constitution permettant à Conté de rester indéfiniment au pouvoir. Mais sa santé se dégrade et il perd peu à peu la raison.

2006 Montée de la contestation sociale et politique.

2007 Lancement de la grève générale le 10 janvier. État de siège décrété le 12 février.

 
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