Suisse : Paix du travail pour le patronat




En 1937, un vaste mouvement de grève en Suisse permit de signer le premier accord national de branche dans le secteur de l’horlogerie. Si son contenu constitue une réelle avancée, le tribut à verser par le mouvement ouvrier fut lourd et continue de se faire sentir.

La Confédération helvétique aime se présenter comme un lieu où le consensus prévaut. Les motifs de conflits ne manquent pourtant pas pour les salarié-e-s, dans un pays qui fait le choix d’un code du travail peu étoffé, lui préférant des accords de branches sectoriels. Ce calme n’est qu’apparent bien que les luttes menées aient rarement fait grand bruit. Dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, l’organisation du mouvement ouvrier a permis d’obtenir quelques victoires. En 1937, lorsque les ouvrières et ouvriers de plusieurs manufactures horlogères du Jura suisse lancent un vaste mouvement de grève, nul doute que ces derniers ont en tête les avancées obtenues par leurs proches voisins. Face à l’ampleur du mouvement, le gouvernement fédéral oblige le patronat à s’asseoir à la table des négociations, non pour aider les ouvriers et ouvrières dans leur lutte, mais pour éviter la contagion de la grève aux autres cantons. Un accord est donc signé le 15 mai 1937.

Pas de droit de grève

Historiquement, d’autres corporations avaient eu recours aux accords de branche. Mais celui signé dans l’industrie horlogère – un domaine d’exportation déjà important pour la Suisse – revêt un sens particulier. En effet, s’il est bien stipulé que le patronat s’engage à améliorer de manière continue les conditions de travail, les travailleurs devront de leur côté renoncer au droit de grève. Les futures revendications passeront par les représentants du personnel, qui disposent de deux sièges sur cinq dans les conseils d’administration. Ces représentants deviennent alors tacitement les garants du maintien de l’accord, en s’assurant au fil des ans qu’aucune grève ou mouvement ne se déclenchent dans les manufactures, jusqu’ici avec succès.

L’accord signé donna rapidement lieu à la mise en place des Conventions collectives de travail (CCT) et fut repris comme modèle par d’autres grandes branches. Celles-ci ratifient de manière claire les avantages acquis comme l’octroi et la durée des congés payés ou la régularisation du temps de travail hebdomadaire. Les CCT sont validées et renégociées tous les cinq ans avec le risque de perdre certains avantages. Bien que souvent mises en avant par la Confédération helvétique pour célébrer ce qu’on appellera à partir des années 1950 la « paix du travail », les CCT, de par leur nature sectorielle, ne s’appliquent jamais à l’ensemble des salarié-e-s mais seulement aux branches concernées. Les femmes furent les grandes perdantes de l’accord et ce dès 1937 : l’égalité des salaires constituait une revendication de la grève mais ne fut guère défendue lors de la signature de l’accord et la revendication n’aboutit pas. Autres perdants, les syndicats de lutte qui furent progressivement exclus car jugés non légitimes pour discuter avec le patronat. Si les CCT ont globalement été respectées en ce qui concerne l’augmentation continue des salaires – au moins pour l’horlogerie – leur maintien est désormais remis en cause par les nouvelles équipes dirigeantes qui ne s’y reconnaissent pas et qui rencontrent peu de résistance de la part de salarié-e-s peu organisés. On ne rattrape pas si vite 75 années de sommeil.

Nico G (AL Paris Nord-Est)

 
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