Vote FN : Au-delà des idées reçues




Les scores du FN polarisent l’attention des médias à chaque nouvelle élection. Pourtant, beaucoup de contre-vérités sont diffusées à commencer par l’idée que le vote FN serait désormais un vote ouvrier. Connaître les ressorts du vote FN doit permettre de contrer les logiques sur lesquelles s’appuie le parti de Marine Le Pen. Décryptage.

Le Front national est implanté dans la vie politique nationale depuis plus de trente ans, avec une stratégie offensive pour conquérir des mandats. Chaque soirée électorale apporte son lot de condamnations des électeurs du FN. Mais l’on sait peu de choses sur les profils de ces derniers, qui sont souvent très éloigné-e-s de l’appareil du parti. Les recherches de sciences sociales peuvent permettre de mieux saisir, pour mieux les combattre, les ressorts de ces votes.

Un vote de classe ?

Depuis les années 1990, des intellectuels de « gauche » ont décrit le FN comme un parti « populiste », ce qui signifierait que les classes populaires seraient naturellement en attente d’un discours xénophobe et autoritariste. Pourtant, jusqu’aux années 2010, les ouvriers et ouvrières sont loin de tous se tourner vers le FN : lors du premier tour de la présidentielle de 2002, ils sont d’abord 31 % à s’abstenir, puis 29 % à voter à gauche, 22 % à droite et 18 % au FN (voir Collovald, dans la bibliographie ci-dessous). En 2012, l’abstention est estimée de 23 % à 29 % chez les ouvriers selon les sondeurs, sans compter les non-inscrits sur les listes électorales. C’est donc l’abstention qui est le premier parti populaire.

Beaucoup d’analystes occultent cette réalité : en présentant les résultats à partir de pourcentages des suffrages exprimés, ils grossissent abstraitement la part des ouvriers qui votent FN. Cela revient à taire le fait que le FN a aussi beaucoup d’électeurs dans des catégories sociales bien plus favorisées : les chiffres disponibles pour 2002 montrent que 26 % des professions libérales ont voté pour Jean-Marie Le Pen le 21 avril, et selon l’institut Ipsos, en 2012, ce sont 20 % des artisans, commerçants et chefs d’entreprises qui ont voté Marine Le Pen, soit autant que chez les ouvriers si l’on inclut l’abstention. Ce premier constat montre que le FN rassemble de nombreux patrons, petits ou grands, et des professions aisées, sur des intérêts bien compris, qui ne sont pas ceux des classes populaires.

Et les espaces ruraux ?

Il reste bien sûr beaucoup d’ouvriers ou d’employé-e-s qui votent FN, mais pas forcément pour les raisons que tentent de disséquer les journalistes. En 2012, un essayiste, Christophe Guilluy, a largement présenté ses explications à ce sujet : selon lui, les politiques concentreraient un grand nombre de moyens dans les banlieues, et la gauche PS oublierait en particulier les couches populaires blanches. D’où un vote FN en hausse chez les familles modestes qui font construire dans des espaces ruraux de plus en plus éloignés des centres villes. Cette vision est erronée : il reste 51 % des électeurs et électrices du FN dans les villes (voir Rivière), et si les efforts des politiques se concentraient sur les quartiers d’habitat social, cela se saurait ! Ce type de propos revient à relayer l’opposition entre Français et immigré-e-s sur laquelle le FN construit son discours, une opposition par ailleurs déjà largement exploitée par les responsables gouvernementaux depuis de longues années, selon la logique du bouc-émissaire.

Il reste que les communes du périurbain (les espaces qui entourent les villes) affichent des scores élevés pour le FN en 2012. Mais là aussi, peu de commentateurs s’intéressent aux raisons qui peuvent l’expliquer.
Les médias évoquent fréquemment les licenciements et la montée du chômage chez les ouvriers, mais ils parlent beaucoup moins souvent des conditions de travail de ceux qui sont encore en emploi. Et ils font très rarement le lien entre appartenance syndicale et faible taux de vote FN, alors que les sondages, même s’il faut les prendre avec précaution, montrent que les salarié-e-s qui sont syndiqué-e-s sont proportionnellement moins nombreux à voter à l’extrême droite.

Contre les divisions, les mobilisations syndicales

Les politistes ont montré que ce sont les jeunes générations, celles qui travaillent dans des structures de plus en plus petites et qui ont peu eu l’occasion de participer à des luttes collectives, qui s’identifient le moins au fait d’être ouvrier et qui sont les plus susceptibles de se tourner vers l’extrême droite (voir Lehingue). Et dans le périurbain, les zones d’activité qui se sont multipliées depuis les années 1980 sont des lieux où a été menée une division du monde du travail, avec la multiplication des entreprises sous-traitantes et des contrats précaires (voir Girard).

Les transformations de l’emploi jouent sur les possibilités de lutte : selon l’historien Gérard Noiriel, cela correspond à une stratégie délibérée du patronat et de l’État, lancée depuis les années 1950 et 1960, pour affaiblir les mobilisations syndicales. Comme le dit un autre historien, Xavier Vigna, « les luttes ouvrières constituent le barrage le plus sûr à l’activation des clivages identitaires » : c’est par les mobilisations collectives que l’on combat le plus efficacement, sur les lieux de travail, les divisions qu’un parti comme le FN (même s’il n’est pas le seul), souhaite imposer, entre Français et travailleurs étrangers, entre blancs et racisé-e-s, etc. Autant de divisions qui vont à l’encontre des intérêts des classes populaires.

Bien sûr, les responsables politiques, trop occupé-e-s qu’ils sont à détricoter le droit du travail, se soucient peu de la répression que mène le patronat contre les militants et militantes syndicaux, ni même des discriminations racistes ou sexistes qui sont le fait des employeurs. Il nous appartient donc de mener des luttes offensives pour gagner contre l’exploitation et du même coup contre les divisions qui font le lit des idées les plus nauséabondes, et qui permettent à l’extrême droite de prospérer. C’est ce que font d’ores et déjà les militantes et militants du réseau Visa (Vigilance et Initiatives syndicales antifascistes).

Dominique (AL 93)

Pour aller plus loin :

Cette France-là, Xénophobie d’en haut. Le choix d’une droite éhontée, 2012, La Découverte, voir le chapitre 6 qui critique les thèses de Ch. Guilluy.

• A. Collovald, Le « populisme du FN ». Un dangereux contresens, 2004, éditions du Croquant.

• V. Girard, « Les votes à droite en périurbain : “frustrations sociales” des ménages modestes ou recompositions des classes populaires ? », 2012, metropolitiques.eu

• P. Lehingue, Le vote, 2011, La Découverte.

• G. Noiriel, Les Ouvriers dans la société française XIXe-XXe siècle, 1986, Seuil.

• J. Rivière, « Sous les cartes, les habitants. La diversité du vote des périurbains en 2012 », Esprit, 2013.

• X. Vigna, Histoire des ouvriers en France au XXe siècle, 2012, Perrin.

 
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