Livre : Les Anarchistes russes, les Soviets et la Révolution de 1917




« Tout le pouvoir aux soviets ! » Ce cri de ralliement, opportunément confisqué et galvaudé par les bolcheviks à partir de 1917, Alexandre Skirda nous démontre avec brio qu’il est inscrit au cœur des habitudes du peuple russe, trop souvent présenté comme servile et résigné.

Dans un ouvrage richement documenté et récemment réédité par les indispensables éditions Spartacus, l’auteur aussi érudit que discret des Anarchistes russes, les soviets et la révolution russe de 1917 retrace avec soin les racines des coutumes libertaires historiquement présentes chez les populations slaves. Que ce soit à travers les mirs ou les vetchés (sortes de communes et de regroupements agricoles), celles-ci sont les héritières d’une longue tradition d’organisation collective et démocratique.

Ce n’est donc pas un hasard si la Révolution russe de 1917 a démarré sous les meilleurs auspices avec la constitution de centaines et de milliers de comités d’usine, de soldats et de paysans, prenant en main l’organisation de la vie économique et sociale. Et ce n’est qu’au prix d’un terrible coup de force que les militants bolcheviks reprirent à leur compte la grande révolution soviétique et la pervertirent par la centralisation étatique et la folie autoritaire.

Bien avant Kronstadt, dès le printemps 1918, les anarchistes seront les premières victimes de la répression du nouveau pouvoir. Emprisonnés, déportés, éliminés, ils payeront chèrement leur combat pour l’autonomie des soviets et leur opposition à la dictature du « prolétariat » ou plutôt de ses pseudo-représentants.

À travers un remarquable travail d’historien, compilant sources inédites et traductions, le russisant Alexandre Skirda démontre irréfutablement l’affiliation directe entre léninisme et stalinisme.

Les crimes du second n’ayant été rendus possibles que par l’acharnement du premier à étouffer les instincts de liberté du peuple russe par la mise en place d’un appareil d’État impitoyable. Les gènes de la dégénérescence totalitaire étaient inscrits au plus profond de la conception autoritaire du pouvoir bolchevique.

Dans une seconde partie plus convenue, l’historien regroupe une série de quatorze textes datant de 1918 à 1927 dans lesquels ils donnent la parole à des libertaires ayant vécu de près ou de loin la Révolution russe. On y retrouve évidemment Alexandre Berkman, Emma Goldmann et Piotr Archinov, mais aussi des personnages moins connus tels que Anatole Gorélik ou Valesky. Mention spéciale pour les analyses de Rudolf Rocker et Efim Yartchouk sur les origines du système des soviets et leur rôle dans la révolution russe.

Alexandre Skirda clôt ce livre savant par une savoureuse lecture de l’anarchisme dans l’historiographie soviétique. On ne manquera pas de sourire – ou de bondir – devant les anathèmes, contre-vérités et qualificatifs dispensés par la propagande bolchevique.

Cet ouvrage, brillant quoique parfois un peu indigeste, a le grand mérite de nous rappeler les mérites des anarchistes pendant la révolution de 1917, mais aussi et surtout les raisons de leur échec. C’est à la lumière de cette expérience historique unique que les militants communistes libertaires d’aujourd’hui doivent forger leurs pratiques et leur capacité d’organisation afin d’ouvrir à nouveau l’horizon radieux de la révolution sociale.

Julien (AL Montpellier)

  • Alexandre Skirda, Les Anarchistes russes, les Soviets et la Révolution de 1917, Spartacus, 2016, 348 pages, 19 euros.
 
☰ Accès rapide
Retour en haut