Environnement

Extractivisme : Les luttes écologistes au-delà des frontières




Du Pérou à Grenoble et partout dans le monde, l’extractivisme dépasse les frontières pour piller les sols et dominer le vivant. Pour y faire face, apportons une vision internationaliste et décoloniale dans nos luttes écologiques.

L’extractivisme représente un mode capitalistique et colonial d’accumulation des richesses et repose sur ­l’extraction d’importantes quantités de ressources naturelles (fossiles, minières, forestières, etc.) principalement destinées à l’exportation vers les empires ­coloniaux.

Comme le décrit Eduardo Galeano dans son livre Les veines ouvertes de l’Amérique Latine, le pillage des terres et sous-sols de l’Amérique Latine, ainsi que l’exploitation de la force de travail et de l’esclavagisation des peuples autochtones, sont étroitement liés à la formation et à la configuration du capitalisme mondial.

L’extractivisme, renouvellement du colonialisme, met en lumière le fait que les communautés résidant sur des terres riches en ressources sont dépouillées de ces dernières. De nombreux chercheurs et chercheuses évoquent la « malédiction des ressources », soulignant que ces précieuses ressources sont exploitées pour alimenter l’économie des pays occidentaux, laissant aux populations autochtones des gains financiers minimes, voire négatifs tout en pillant leur sol et sous-sol et polluant leur environ­nement. Ce système perpétue diverses formes de domination en déplaçant les richesses du Sud global vers le Nord global.

Prenons l’exemple de La Oroya [1], une ville d’environ 33 000 habitantes, située dans la chaîne de montagnes centrale du Pérou. Depuis 1922, elle a été le site ­d’une fonderie métallurgique principalement exploitée par l’entreprise américaine Doe Run-Peru. Le complexe a longtemps été la principale source d’emploi de la région, cependant, l’activité métallurgique a entraîné une grave pollution de l’air, du sol et de l’eau. En 2000, La Oroya a été classée parmi les dix villes les plus polluées au monde, avec des niveaux alarmants de plomb dans le sang des habitantes (97 % des enfants âgés de 6 mois à 6 ans ont encore des niveaux élevés de plomb dans le sang). Certains parents ont mené une action collective au siège de l’entreprise Doe Run, aux États-Unis.

Le capitalisme détruit la terre et les corps

En 2009 des mesures sont enfin prises contre l’exploitant américain et le complexe métallurgique est fermé. Mais, c’est loin d’être une victoire, la population locale continue de subir les conséquences néfastes de la contamination persistante tout en faisant face au chômage, ce qui pousse les syndicats à réclamer la réouverture du complexe afin de pallier le manque d’emploi.

Cet exemple, parmi tant d’autres, appuie la nécessité d’une révolution des modes de production qui passe par la maîtrise de la production par les travailleuses et travailleurs. Cette révolution constituera le moteur essentiel de la lutte contre le système colonial et extractiviste, mettant ainsi fin à l’exploitation intensive des sols et sous-sols de régions entières, à l’exploitation du vivant et des populations autochtones, à la surproduction et une remise en cause des procédés industriels polluants…

Les luttes écologiques à l’heure de la mondialisation

De l’autre côté de l’Atlantique, dans le bassin grenoblois, une lutte contre l’agrandissement du site de Crolles de STMicroelectronics bat son plein avec le collectif StopMicro. L’entreprise, qui produit des semi-conducteurs, consomme une quantité significative d’eau dans un territoire où la compétition pour l’accès à l’eau est intense. Après l’agrandissement, l’industriel prévoit de tripler sa consommation d’eau par rapport à 2021 ce qui représente une aberration écologique dans une région déjà en tension hydrique. La CGT ST Crolles, s’est également prononcée sur le sujet et appelle les salariées à se saisir des enjeux environnementaux que pose leur activité et critique la direction sur le manque d’ambition pour trouver des solutions effectives.

Face à cette lutte contre l’agrandissement de STMicroeletronics, certaines défendent l’argument de la relocalisation de la production, mais en réalité, l’agrandissement de l’usine de Crolles ne va pas remplacer une usine ailleurs, mais s’y ajouter. Cependant, il est important de reconnaître l’effet rebond des réglementations environnementales françaises qui engendrent une délocalisation de la production et donc des pollutions et un pillage des sols d’autres régions. Il est donc nécessaire d’apporter un prisme décoloniale dans les luttes contre les grands projets inutiles. Ainsi, à côté d’une révolution de la production il faut mener une révolution des échanges en défendant l’autonomie productive. Libérées des dépendances des multinationales, les territoires, à l’aide de la production locale et des circuits d’échange courts, doivent être en mesure de subvenir à leurs besoins, évitant ainsi les pollutions et pillages d’autres territoires.

Si la lutte contre l’agrandissement de STMicroeletronics et celle de la ville péruvienne La Oroya sont géographiquement opposées, elles ont un ennemi commun de taille : le capitalisme qui réussit à s’adapter et à se renouveler en utilisant d’autres dominations afin de perpétuer son essor. Ainsi, pour préserver les ressources et le vivant, nous devons mener des luttes écologiques, décoloniales, anticapitalistes et internationales par-delà les frontières.

Léo et Oum (UCL Grenoble)

 
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