Culture

Lire : Alma Brami, « Ils sont moi, je suis eux »




Quelles sont les personnes les plus vulnérables dans une société ? Les enfants  ! La preuve en littérature, à travers le monologue d’une mère qui s’emballe…

« Ils sont moi, je suis eux » : dès le titre, l’ambiance est posée. Quelqu’un dit « je », c’est une mère, et nous sommes dans sa tête, elle pense à « eux ». « Ils, eux », ce sont ses enfants. Un garçon et une fille, on n’en saura pas beaucoup plus, malgré les 160 pages du roman, au long desquelles il n’est question que d’eux pourtant.

Et tout l’enjeu est là, montrer, en creux d’un discours à la première personne, comme il est possible de ne vivre que pour ses enfants, sans réellement s’intéresser à eux.

L’héroïne, Sonia, se rêve en mère parfaite. Elle se lève avec au fond des tripes le désir irrépressible d’offrir le meilleur à ses enfants  ; un appartement parfaitement briqué, des repas sains et raffinés, une mère drôle et enjouée. Chaque instant de sa vie, chaque décision est pensée en fonction de ce qu’il faut faire pour leur bonheur. Laver les carreaux tous les jours, éplucher des kilos d’oignons, laver et repasser leurs chaussettes… Elle s’épuise en travaux domestiques mais se réjouit d’avance  ; ils seront si heureux, nous rirons ensemble, photo de la famille idéale. Et puis arrive un léger imprévu, le plat est brûlé, ou bien le garçon a mal dormi et grogne un peu, et tous ces efforts pour des ingrats, elle voit rouge, elle craque, elle crie, c’est de leur faute aussi.

Amour absolu ou toxique ?

Cette alternance d’extrême douceur et de colère intense revient très régulièrement, jour après jour, toujours à travers le vécu de cette femme qui nous paraît de plus en plus dépassée, voire peu consciente de ce qu’elle inflige à ses « chéris ». Plus on avance dans le roman et plus l’envie de perfection devient besoin de contrôle, on n’en dira pas plus pour ne rien divulgâcher !

Notons quand même qu’on commence la lecture attendrie par cette mère débordante d’amour et on referme le livre glacée par tant de toxicité.

Un quatrième personnage est là, qui a plus de corps que les deux enfants  ; c’est la mère de la mère. Ses interventions, toujours souhaitées, jamais bienvenues, disent la complexité du lien mère-fille, quand la fille est aussi mère.

Notre héroïne essaie de réparer quelque chose de son enfance avec ses propres enfants. Surtout elle ne reçoit aucune des preuves d’amour que sa mère lui envoie, et en attend d’autres qui ne viennent pas. Éternels malentendus des relations familiales…

À mesure que la distance s’installe entre lecteurtrice et héroïne, on perçoit chez cette grand-mère une inquiétude, impuissante mais légitime, qui grandit jour après jour. En parallèle de la nôtre… Qui pourrait protéger ces enfants de cette mère qui leur veut tant de bien ?

D’un point de vue littéraire, c’est un tour de force ; Alma Brami nous pousse très doucement à nous méfier de son personnage, dont les intentions semblent si pures et dont on adopte d’emblée la vision… D’un point de vue plus militant, on prendra ce texte comme un excellent rappel de la toute puissance des adultes sur les enfants, et de l’importance cruciale de ne jamais perdre de vue leur vulnérabilité.

Mélanie (amie d’AL)

  • Alma Brami, Ils sont moi, je suis eux, Éditions Mercure de France, août 2023, 160 pages, 17 euros.
 
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