Antipatriarcat

VSS : faire face aux violences, de la maternité au post-partum




Tous les ans, à l’occasion du 20 novembre (Trans Day of Remembrance) et du 25 novembre (journée mondiale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes), nous tentons d’une part de dresser le portrait des violences sexistes et sexuelles (VSS) avec une analyse féministe libertaire, et d’autre part, de proposer des pistes politiques pour les abolir. Cette année, focus sur le lien entre violences sexistes et parentalité.

Tous les ans, à l’occasion du 20 novembre (Trans Day of Remembrance) et du 25 novembre (journée mondiale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes), nous tentons d’une part de dresser le portrait des violences sexistes et sexuelles (VSS) avec une analyse féministe libertaire, et d’autre part, de proposer des pistes politiques pour les abolir. Cette année, focus sur le lien entre violences sexistes et parentalité.

Loin d’une analyse essentialiste qui voudrait que les femmes soient victimes de violences du fait de leur biologie, cet article s’attache à décortiquer la manière dont notre société construit la vulnérabilité des femmes pendant la période de grossesse, et lors des premières années des enfants, dont le soin est principalement attaché aux femmes. C’est bien leur vulnérabilité, sociale et économique qui entraîne une accentuation des violences à cette période.

Pour analyser ce sujet, nous l’aborderons sous trois angles : la dépendance au corps médical et les violences obstétricales ; la dépendance au couple et l’augmentation des violences conjugales pendant la grossesse ; et enfin, plus généralement, l’organisation sociale de l’accueil des enfants dans la vie comme violence structurelle contre les femmes. Cet article se focalise sur les contextes cis hétéros et mériterait un prolongement pour parler des situations sortant de ce contexte telle que la violence subie par des hommes trans enceints.

Violences obstétricales

Si la violence gynécologique s’exerce tout au long de la vie des femmes, dont le corps est socialement plus contrôlé que celui des hommes par la profession médicale [1]., ce contrôle, et donc le potentiel de violence, est notablement accru au moment des grossesses et des accouchements. Les analyses féministes ont désormais montré comment la santé des femmes, et en particulier l’accompagnement et les soins pendant la grossesse et les accouchements, historiquement aux mains des (sages)-femmes, a progressivement été accaparé par une profession médicale masculine [2]. Et même si l’évolution des moyens médicaux a permis une diminution drastique de la mortalité au moment de l’accouchement, nombreuses sont celles qui dénoncent aujourd’hui les effets néfastes de la surmédicalisation de l’accouchement.

Avant tout pensés pour répondre aux besoins des médecins, les protocoles d’accouchement entraînent des séquelles physiques et psychologiques pour les femmes. Épisiotomies, déclenchement d’accouchement, utilisation de forceps, position allongée… tous ces gestes ne sont pas toujours nécessaires, et surtout, ils sont très souvent réalisés sans consentement ni explications aux parturientes. Vient s’ajouter à cela une couche de racisme, qui fait des femmes noires des victimes encore plus nombreuses des violences obstétricales.

La médiatisation de plusieurs situations de violences et la mobilisation des femmes a pu permettre quelques évolutions comme l’émergence d’un vaste débat public sur les pratiques médicales lors des accouchements, ou encore la parution d’un avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui a émis un avis sur la nécessité de recueillir le consentement explicite des patientes, sans pour autant remettre fondamentalement en cause le pouvoir médical et son emprise sur le corps des femmes.

Dépendance au couple et violences conjugales

Entre 2 et 6% des femmes subissent des violences physiques de la part de leur conjoint pendant leur grossesse [3]. Et, selon les rares études disponibles, pour 40% des femmes victimes de violences conjugales physiques, la maltraitance a commencé alors qu’elles étaient enceintes. Quant aux autres formes de violences conjugales, aucune étude ne permet d’avancer de chiffres. Alors que pour certaines femmes, la grossesse peut être une période d’accalmie des violences, elle peut donc aussi très souvent être soit un élément déclencheur, soit un facteur aggravant. Ainsi, pour deux tiers des femmes subissant des violences avant leur grossesse, les violences se sont aggravées après leur accouchement avec quatre fois plus de femmes signalant de très mauvais traitement par rapport aux violences conjugales en général [4].

Loin d’être une parenthèse hors du patriarcat, le moment de la grossesse est ancré dans des mécanismes d’oppression sociale profonds.
MARTIN NODA / HANS LUCAS

Comment analyser ces éléments ? Deux phénomènes conjoints ont lieu à cette période. Tout d’abord, le moment de la grossesse, très majoritairement prise en charge, tant physiquement qu’en terme d’organisation et de préparation, par les femmes. À cela s’ajoute l’arrivée de l’enfant qui vient briser le rapport exclusif du couple. Ces deux éléments peuvent être source de développement d’une forme d’autonomie plus grande des femmes, par le développement d’une forme d’expertise. À cette potentielle source d’émancipation vient s’opposer une augmentation de la violence pour garantir l’emprise.

Par ailleurs, quitter son foyer et son couple s’avère plus dur avec un enfant que sans. Au delà des injonctions sociales à maintenir le couple parental pour le bien être des enfants, le besoin en ressources financières et matérielles est de fait plus important, alors même que les femmes sont fragilisées économiquement après l’arrivée du premier enfant, et encore plus pour les suivants [5]. Plus vulnérables, physiquement et économiquement, ce qui offre, dès lors, plus de possibilité aux hommes d’exercer une violence.

Enfin, il faut mentionner la stratégie récurrente des pères violents et des groupes masculinistes, d’instrumentalisation des enfants pour garder le contact, et exercer leur emprise sur la mère.

Finalement, alors que la maternité pourrait être un moment clé pour repérer les violences conjugales et accompagner les femmes victimes, cette période est sous exploitée par les politiques publiques de prévention et par les médecins.

Organisation sociale du post-partum

La réalité des femmes après leur accouchement, alors que leur conjoint reprend le travail après trois semaines de congés (25 jours de congés paternité, depuis 2019), n’est pas glorieuse :

  • conséquences physiques et psychologiques de l’accouchement
  • isolement social : absence d’un congé paternité digne de ce nom, manque de lieux de proximité d’accueil parent-enfant, espace de sociabilisation accueillants pour les jeunes enfants (lieux militants compris), transports publics inadaptés, disparition des amies de l’entourage des jeunes parents, défaut de réseaux de solidarités amicaux, et recentrement sur l’espace familial, souvent les autres femmes de la famille (mère, sœur). Cela peut mener une quantité effarante de femmes à ne pas échanger avec d’autres adultes que son conjoint pendant des mois.
  • inégalité au sein du couple et assignation aux tâches peu valorisées. Ainsi, selon l’Insee, en 2010, les femmes accomplissaient 72% des tâches ménagères et 65% des tâches parentales, et l’arrivée d’un enfant est souvent une période d’aggravation des inégalités de répartition des tâches ménagères.
  • injonction à la maternité heureuse, absence d’accompagnement à la parentalité, injonctions sociales contradictoires…

Alors que le « baby blues » est majoritairement présenté comme la conséquence d’une chute hormonale, ou le révélateur d’un mal être antérieur, nous pouvons affirmer qu’il est aussi la conséquence d’une organisation patriarcale de la société, qui vient faire reposer sur les femmes la quasi totalité de ce travail épuisant et teinté de mépris social, dégradé symboliquement et économiquement.

Les conséquences de cette organisation sociale sont dramatiques. On estime que 80% des nouvelles mères sont atteintes de baby blues et 15 à 20% de dépression post-partum. Par ailleurs, le suicide est la première cause de mortalité des femmes dans l’année qui suit la naissance d’une enfant (risque soixante-dix fois plus élevé qu’à tout autre moment de la vie d’une femme [6]).

Face à ce constat effarant, il devient urgent de repenser l’organisation du post-partum, ne serait-ce, qu’à notre niveau, en rendant accessible nos espaces aux mères, et en recréant des solidarités amicales et militantes autour des jeunes parents.

La parentalité, partie intégrante du féminisme

Alors que les féministes ont longtemps hésité à s’intéresser à la grossesse et la maternité comme enjeu politique [7] , il nous semble au contraire que les luttes pour l’autodétermination des femmes, et en particulier concernant la vie sexuelle et reproductive, doit intégrer toutes les questions qui entourent la parentalité. Et même si la grossesse et l’accouchement sont souvent le cheval de Troie des féministes essentialistes, il est nécessaire de ne pas abandonner ce champ de lutte.

Encore aujourd’hui, les pratiques sociales de la mise au monde des enfants et de leur accompagnement, viennent accroître la vulnérabilité des femmes, et donc, leur exposition aux violences. Le champs des revendications féministes qui s’est ouvert depuis les années 2010, avec l’apparition de hashtags viraux, et de collectifs de parents, doit être approfondi. Violences obstétricales, surmédicalisation des accouchements, répartition des tâches parentales et domestiques, congé parental, service public de la petite enfance, PMA pour toutes et tous… autant de sujets qui méritent la pleine attention des mouvements féministes.

Cette lutte pour l’autodétermination, contre l’obsession du contrôle des corps et l’assignation au rôle maternel et pour l’émancipation collective des femmes, doit passer par un changement radical de l’organisation sociale de la parentalité, en lien avec les mouvements LGBTI, qui viennent bousculer, et pour notre plus grand bien, les carcans de l’hétérosexualité.

Albe (UCL Savoies) et Antonin (UCL Marseille)

[1Elsa Dorlin, La Matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, La Découverte, 2006.

[2Sharmila Naudou, « Sages-sorcières, le métier de connaître et de faire naître » à lire sur Cairn.info.

[3« En France, 2 femmes sur 100 subissent des violences pendant leur grossesse », Inserm.fr.

[4Muriel Salmona, « Grossesse et violences conjugales : impact sur l’enfant », L’Observatoire, décembre 2008, à lire sur Memoiretraumatique.org.

[5« La contribution des femmes est de 39% dans les couples sans enfant, contre respectivement 38% et 36% quand il y a un ou deux enfants, et enfin 27% quand il y trois enfants ou plus » dans « Écarts de revenus au sein des couples  », mars 2014, Insee.fr..

[6Communiqué de presse du CNGOF, 5 mars 2019, « “Blues” ou dépression après l’accouchement, des conséquences trop souvent négligées ».

[7Béatrice Cascales, Laëtitia Négrié, « L’accouchement, une question clivante pour les mouvements féministes ? », Béatrice Cascales, Laëtitia Négrié, à lire sur Cairn.info.

 
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