histoire

Un documentaire audacieux sur la Révolution russe




Avec des images magnifiques, Lénine, une autre histoire de la révolution russe, visible sur Arte.tv jusque fin avril, parvient à faire comprendre les grandes étapes et les questions stratégiques de la révolution. Dommage qu’il cède à la condescendance.

Avec son documentaire Lénine, une autre histoire de la révolution russe, Cédric Tourbe a tenté l’exploit : raconter la Révolution russe de février 1917 à janvier 1918, en quatre-vingt-quinze minutes.

Avec une durée si courte, c’était une gageure de condenser les faits, les débats, les personnages, les rebondissements et les coups de théâtre d’une période aussi foisonnante, tout en restituant un climat politique que le spectateur, un siècle plus tard, a du mal à imaginer.

Il y a donc, dans ce documentaire, du bon et du moins bon.

Les manifestations d’avril 1917, où il apparaît clairement que la révolution sociale talonne la révolution politique.

Un fil rouge : Lénine

Parmi ses atouts, il faut tout d’abord citer un matériau cinématrographique de premier choix. Pas de reconstitution en costume empesée, mais des images d’époque ou des séquences de films d’Eisenstein tournées dix ans plus tard et judicieusement décryptées.

Ensuite, le réalisateur a été bien conseillé, par une pointure : Marc Ferro, auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la Révolution russe dans les années 1970. Il s’écarte donc résolument de la vulgate stalinienne qui a dressé la statue d’un Lénine génie omniscient, dirigeant d’une main de fer un Parti ultradiscipliné vers la victoire. Réaliste, Tourbe dépeint au contraire un chaos politique et économique sans nom, au milieu duquel les révolutionnaires, bousculés par les événements, se déchirent sur la voie à suivre et les mots d’ordre à adopter, aucun choix n’étant évident à trancher.

La trame narrative est cohérente. Elle puise abondamment dans les Mémoires de Nicolas Soukhanov (photo), un menchevik de gauche qui a providentiellement été témoin de presque tous les moments-clefs de l’année 1917. Et elle utilise l’action de Lénine comme fil rouge, ce qui permet de problématiser les options stratégiques qui ont tourmenté les bolcheviks entre juin et octobre : est-ce parce qu’on a les moyens militaires de faire un putsch qu’on doit le faire ? Et si oui à quel moment ? Et de quelle façon, pour ne pas se mettre tout le monde à dos ?

Et les anarchistes là-dedans ?

D’aucuns seront frustrés que le documentaire s’arrête au début de 1918, avant que n’éclate la guerre civile et ses abîmes de violence qui, bien davantage qu’octobre, vont façonner le nouveau régime. Mais, en quatre-vingt-quinze minutes, ç’aurait été illusoire.

Après avoir dit tout cela, quelques bémols.

On relève quelques erreurs factuelles ici ou là – le soldat Fedor Linde, rédacteur du fameux Prikaze n°1 du soviet de Petrogard, n’a jamais été anarchiste – mais assez secondaires.

Ce qui est en revanche profondément agaçant, c’est la mise en scène et le ton employé par le narrateur. Certes, il est sain de démythifier les événements et de désacraliser les révolutionnaires... mais pas de là à employer systématiquement un ton sarcastique ! A un siècle de distance, ironiser sur les erreurs ou les ratés commis dans le tumulte de l’époque, c’est d’une condescendance par trop confortable.

Quand, en août 1917, le général Kornilov menace de déchaîner la contre-révolution, le soulèvement populaire le tient en échec.

Enfin, et c’est là un point de vue intéressé, on peut regretter que le documentaire ne parle guère des anarchistes. Même si, à Petrograd en 1917, ils pesaient sans doute dix fois moins que les bolcheviks, ils ont joué un rôle non négligeable, notamment lors des manifestations de juin et de la tentative insurrectionnelle de juillet 1917, et se sont posés des questions stratégiques assez analogues à celles des bolcheviks.

On aura l’occasion de raconter tout cela dans le dossier d’été 2017 du mensuel Alternative libertaire.

En attendant, Lénine, une autre histoire de la révolution russe a rencontré un gros succès, avec plus de 240.000 vues en un mois sur Arte.tv. Le documentaire est encore visible jusqu’à la fin du mois d’avril. Celui ou celle qui ne connaît rien à la Révolution russe le regardera sans s’ennuyer et aura, sans doute, envie d’en savoir davantage !

Guillaume Davranche (AL Montreuil)

 
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