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Normes d’oppression : Les diktats de la mode




C’est l’été. L’occasion de rappeler aux femmes que leurs corps doivent être transformés, normés, au plus grand bénéfice des systèmes d’exploitation.

Quand l’été approche, ce n’est pas la météo qui nous en informe. Affiches publicitaires et presse réunies exhortent les femmes à commencer la reprise en main annuelle (à l’heure où vous me lisez, il est trop tard) pour être belles en maillot. Et être belle, ce n’est pas être à l’aise, aller bien, jouir de son corps, être heureuse. Les histoires de beauté intérieure sont des contes pour les enfants.

Être belle, c’est d’abord être mince. Le magazine Elle du 8 juin titre «  3 kilos avant le maillot  », le site de Cosmopolitan affiche le 12 juin «  7 astuces minceur pour être la plus belle en maillot  ». En d’autres saisons, il faudrait être mince pour la rentrée des classes ou la veillée de Noël, mais c’est particulièrement nécessaire quand le corps est dénudé. Pas de cellulite, pas de bourrelet, juste ce qu’il faut de muscles pour que le dessous des bras ne pendouille pas… Régimes les plus absurdes, restrictions, crèmes inefficaces mais chères, salles de sport. La minceur est un combat nécessaire et les femmes rondes n’ont pas de volonté.

Résultat connu de toutes : une femme ne prévoit jamais un menu, ne commande jamais un plat sans penser à sa ligne (elle écarte ou non cette pensée mais elle l’a forcément). Comme pour la prise de parole en groupe mixte, il y a une répartition prévisible des salades et des frites autour d’une table réunissant des convives des deux genres (des deux sexes mais conditionnés par le patriarcat à être ce qu’il faut être dans ce système).

80 % des opérations faites pour faire maigrir se font sur des corps de femmes alors que la proportion d’obèses est à peu près équivalente pour les deux sexes. Une autre preuve que les normes pesant sur le corps des femmes sont plus contraignantes.

La minceur comme idéal premier

Mais évidemment être mince ne suffit pas. Les normes imposées aux corps des femmes par la publicité et l’industrie cosmétique sont innombrables. Maquillage léger mais visible ; coiffure selon les diktats de la mode en matière de couleur et longueur ; épilation d’un peu partout, y compris du mont de Vénus ou de la raie des fesses – du coup, on se prend à regretter ­l’époque où seul le bas des jambes était l’objet de ce harcèlement  ; bronzage - qu’il faut préparer avant l’été et entretenir après  ; jeunesse éternelle grâce aux crèmes antirides sans effets et hors de prix  ; habillement sexy mais pas vulgaire ; féminité – un truc pas clairement défini se rapportant au fait de plaire aux hommes hétéros réacs  ; jolis seins mais pas tombants  ; pas d’odeurs… J’en oublie certainement.

Aujourd’hui, on arrête pas le progrès, s’imposent aussi des normes en matière de conformation de la vulve  : clitoris de la «  bonne  » taille (sensibilité  ? On s’en fout), petites lèvres discrètes, vagin resserré pour le plaisir de la verge et de l’anus puisqu’on peut, comme pour la vulve, le décolorer pour être plus raccord avec la peau voisine.

Des normes de beauté nombreuses

À ces normes traditionnelles de la beauté féminine, s’ajoutent les normes imposées en plus aux femmes racisées pour se rapprocher du physique occidental, norme de la beauté mondiale bien sûr : défrisage des cheveux crépus et éclaircissement de la peau pour les femmes noires, débridages des yeux et rallongement des jambes pour les Chinoises. Là encore, j’en oublie certainement.

Il reste quelques normes « locales » pas plus réjouissantes, ni plus à défendre, mais là comme ailleurs, la tendance est à l’écrasement des cultures par le capitalisme occidental. Toutes ces normes sont sous-tendues par l’idée qu’un corps de femme au naturel est moche, sale et puant. Ce qui n’aide pas à avoir une bonne idée de soi. On peut compter sur l’arrivée bientôt de normes concernant l’intérieur du corps, une beauté radiologique.
Le conditionnement à ces normes et le combat perdu d’avance pour les atteindre produisent plusieurs bénéfices pour les systèmes d’oppression.

Les femmes sont confortées dans l’idée qu’elles doivent répondre aux critères commerciaux de séduction hétérosexuelles pour pouvoir s’encoupler, ce qui doit être leur but principal, et fournir ainsi le travail domestique, base de l’exploitation patriarcale. Cette nécessité de l’encouplage est encore accentuée par le manque de confiance en leur capacité à vivre seules et autonomes puisque beaucoup des rouages sociaux fonctionnent pour les convaincre qu’elles n’ont pas assez de valeur, esthétique dans le cas qui nous occupe, mais aussi intellectuelle.

De grands bénéfices pour les systèmes d’oppression

Elles enrichissent l’industrie cosmétique, dont le marché mondial s’élève à plus de 400 milliards d’euros, un peu plus que le coût en Europe des événements climatiques extrême entre 1980 et 2013 (canicules, pluies intenses et inondations, tempêtes…). Le chiffre d’affaires de la chirurgie esthétique s’est élevé, en France en 2015, à 7,5 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter quatre fois plus d’argent pour la médecine esthétique. On peut ajouter soixante-dix titres de presse féminine, qui coûtent 22 millions d’euros à leurs lectrices. Il faut ajouter l’argent mis dans les sèche-cheveux et les rasoirs (roses), les salles de sport, les salons d’esthétique, l’univers de la mode, les accessoires (bijoux, maroquinerie…). C’est une fortune que les femmes consacrent à leur apparence.

Le racisme est conforté aussi par le monde de la beauté. Si l’esthétique occidentale est la seule qui vaille, comment ne pas mépriser et soi et les siens quand on est loin de ses normes. Par dessus tout, les femmes consacrent un temps et une énergie considérable à contrôler leurs corps, laissant le champ libre aux hommes pour contrôler le monde et le mener à la catastrophe. Les féministes anglophones font un détournement des normes estivales assez intraduisible en français  : «  How to have abeach body ? Have a body, and go to the beach  ». Voici une traduction possible, mais moins drôle, le français n’ayant pas la sobriété de l’anglais  : «  Comment avoir un corps prêt pour la plage  ? Avoir un corps et aller à la plage.  »

Un combat qui passe au milieu de nous-mêmes

Combattre ces normes paraît assez simple, il suffit de les mépriser. Mais comment se déconvaincre que si on s’épile les jambes, c’est parce qu’on trouve personnellement ça plus joli ; si on se maquille c’est parce qu’on en a envie  ; si on est au régime c’est réellement parce qu’on se sentirait mieux avec des kilos en moins… Les normes de beauté ont cela d’insidieux qu’elles sont incorporées. Et expliquer qu’elles sont variables dans le temps et dans l’espace n’aide pas à s’en déprendre.

Chaque femme est libre des choix qu’elle fait pour son corps évidemment. Mais il faut rester lucide sur le fait que la plupart sont absolument conditionnés par les systèmes d’oppression. Accordons-nous le droit d’être hirsutes, peu coiffées et habillées aux rayons hommes des magasins, les articles y sont tellement plus confortables  !

Christine (AL Orne-Sarthe)

 
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