Antifascisme : La France est-elle un club de golf ?




La situation du prolétariat peut-elle être améliorée par l’éviction d’une partie du prolétariat ? C’est la théorie du « club » promue par l’extrême droite. À l’approche d’élections européennes dont la campagne s’annonce déjà nauséabonde (Salvini, Aquarius, etc.), nous publions un extrait du livre Temps Obscurs, avec l’accord des auteurs.

Pour comprendre l’audience de masse que les partis xénophobes peuvent avoir, il faut envisager que cet attrait ne se fonde pas seulement sur des bases identitaires, défendant une «  identité fragile  », celle du français, contre la menace représentée par l’«  autre  » plus particulièrement musulman. Il se base surtout sur la traduction en termes économiques de cette théorie  : si une partie des prolétaires (issus de l’immigration) sont indésirables, les exclure serait un moyen de revaloriser économiquement le quotidien des «  nationaux  ». Cette proposition économique est la manière qu’a l’extrême droite de s’adresser aux intérêts de classe de ses électeurs. De plus cette proposition d’épuration du prolétariat permet de proposer des changements radicaux, mais sans s’attaquer aux intérêts de la classe possédante.

Que voulons-nous dire lorsque nous affirmons que l’extrême droite veut se débarrasser de toute une partie du prolétariat  ? Pour le comprendre, il faut se référer à la théorie économique du «  club  », théorisée par Buchanan en 1965. Cette théorie affirme que pour bénéficier d’un bien dans un groupe donné, comme un club de golf, il faut qu’il n’y ait pas trop de membres pour en profiter, ce qui permettrait d’en retirer un bénéfice optimal. Dans le cas contraire, les infrastructures sont trop engorgées et la qualité du service décroît.

Un grand salon VIP de la nationalité française

Dans un contexte de crise économique larvée depuis les années 1970 et qui s’aggrave particulièrement depuis la crise de 2008, l’extrême droite défend une «  théorie du club de golf  » appliquée à l’économie nationale. S’il y a du chômage, des déficits de la Sécurité sociale, des réformes des retraites, des baisses de salaires, ce n’est pas à cause du capitalisme, de son état permanent de crise et des attaques de la bourgeoisie depuis 30 ans, mais bel et bien à cause d’un effet «  club de golf  »  : il y aurait trop de prolétaires  !

Cette théorie voit la France comme un gigantesque club de golf ou une copropriété. Pour pouvoir bénéficier de ses avantages de manière sereine, il faudrait en restreindre l’accès en faisant en quelque sorte un «  cercle privé  ». Selon cette vision du monde, l’assurance maladie, les allocations chômage, les allocations familiales, mais aussi les emplois publics et même l’ensemble des emplois seraient en quelques sortes réservées aux membres d’un grand salon VIP, dont les détenteurs de la nationalité française seraient les membres.

Face à la dégradation du marché de l’emploi, aux effets de la crise qui s’aggrave depuis 2008, des déficits chroniques de la Sécurité sociale et de l’Etat, la solution serait tout simplement de virer un certain nombre de membres du club pour retrouver un fonctionnement «  optimal  ».

C’est là que rentre en jeu le racisme, la stigmatisation de l’islam et des «  assistés  ». Le racisme est le plus souvent perçu seulement d’un point de vue moral, ce qui est une erreur. Ainsi, selon les adeptes du discours de type SOS Racisme, le racisme de l’extrême droite serait inhumain, discriminant, déshumanisant, et explicable uniquement par la peur de l’autre.

Objectif : se débarrasser d’une partie du peuple

Au contraire, ce racisme doit surtout être compris comme une proposition s’adressant aussi aux intérêts économiques des racistes. En effet, pour l’extrême droite, la mise en œuvre de cette théorie du club se ferait principalement en s’attaquant à l’immigration, de préférence de «  couleur  ».

Si l’on regarde le programme du FN, beaucoup de ces mesures visent en effet à attaquer les « mauvais travailleurs » dont le comportement nuirait aux conditions de vie de tous les prolétaires. En ce qui concerne les chômeurs, les mesures de workfare feraient perdre les allocations à ceux qui «  ne veulent pas travailler  », jouant sur le mythe des immigrés profitant de la Sécurité sociale, tout comme la désactivation des cartes vitales des «  fraudeurs  ».

De même, l’arrêt de l’immigration (regroupement familial, asile…) et la mise en place de la préférence nationale a pour objectif en termes économiques d’empêcher la pression sur les salaires des «  Français  » – tout comme la préférence nationale à l’embauche. Enfin, la suppression de

l’AME, c’est-à-dire du minimum de soins médicaux, parachève cette exclusion du corps national des prolétaires indésirables étrangers, d’une autre couleur ou en situation irrégulière.

Cette proposition ne s’appuie pas seulement sur la «  haine de l’autre  ». En termes très concrets, elle dit aux prolétaires et particulièrement aux ouvriers que pour restaurer de bonnes conditions de vies économiques, il faut se débarrasser d’une partie du peuple  !

C’est cette proposition de revalorisation de la condition de prolétaire par l’exclusion d’une bonne partie des travailleurs «  indésirables  » qui malheureusement fait le succès de l’extrême droite auprès de nombreux électeurs, qu’ils soient de catégorie ouvrière, employés ou issus de la petite bourgeoisie et des travailleurs indépendants.

Matthieu Gallandier & Sébastien Ibo

 
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